Imprimer

Pour la plus grande joie des parties civiles, qui se sautaient dans les bras à l’annonce du verdict, les juges ne lui auront trouvé aucune circonstance atténuante – mis à part « son âge [73 ans], d’avoir aidé des proches et [d’]être un bon père », a tout juste concédé le président du tribunal. Autant dire peu de choses au regard de la gravité des charges qui pesaient sur Hissène Habré devant les Chambres africaines extraordinaires (CAE) : crimes contre l’humanité, crimes de guerre, tortures et viols commis durant sa présidence du Tchad, de juin 1982 à décembre 1990. Lundi 30 mai, il a été condamné à la prison à perpétuité. Une peine exemplaire à l’issue d’un procès historique, lancé au mois de juillet 2015, mais qui pourrait bien être difficile à reproduire.

Pour l’heure, les victimes et leurs avocats se congratulaient. « J’attends ce jour depuis que je suis sorti de prison, il y a plus de vingt-cinq ans », sanglotait Souleymane Guengueng, survivant des geôles du régime. « Aujourd’hui, je me sens dix fois plus grand qu’Hissène Habré », ajoutait-il à la sortie de la salle d’audience.

Lire aussi : « Hissein Habré, une tragédie tchadienne » : lumière sur un chapitre d’histoire délibérément ignoré

Des dépositions à la barre de 96 témoins et experts, des 56 pièces à conviction et des 2 500 procès-verbaux d’auditions, les juges ont conclu que l’ancien président « concentrait tous les pouvoirs », et principalement sa police politique, la DDS, exécutrice des basses œuvres.

« Il dirigeait une entreprise criminelle commune qui avait érigé en mode de gouvernance la pratique massive et systématique de la torture, les enlèvements, les détentions inhumaines et les viols »
Les juges des CAE

« Il dirigeait une entreprise criminelle commune qui avait érigé en mode de gouvernance la pratique massive et systématique de la torture, les enlèvements, les détentions inhumaines et les viols », ont tranché les juges des CAE, institution créée spécialement, sous l’égide de l’Union africaine, pour juger Hissène Habré, à Dakar.

Des milliers de vies brisées

On ne saura sans doute jamais combien de vies furent brisées par ce régime de terreur. Des milliers assurément. En 1992, la commission d’enquête tchadienne en identifia près de 4 000 et calcula, par extrapolation, que ce bilan pourrait être dix fois supérieur. Ce qui est établi, c’est que les premières furent victimes de violences ciblées, dès le début de la présidence d’Hissène Habré, contre les opposants politiques. Puis, progressivement, le spectre s’est élargi.

Des punitions collectives furent infligées sans discrimination contre l’entourage des rétifs, femmes et enfants compris, puis, par vagues, contre les communautés accusées de « trahison » (tels que les Zaghawa ou les Hadjaraï) ou contre les mouvements rebelles du Sud. Des cycles de répression qui, au gré des objectifs, s’abattirent sans répit sur le pays durant les huit années de règne sans partage d’Hissène Habré.

Le contexte d’une guerre sans merci menée, avec le soutien de la France et des Etats-Unis, contre la Libye de Mouammar Kadhafi, notamment par groupes tchadiens interposés, n’excuse rien. Les avocats commis d’office ont certes tenté de dépeindre un Hissène Habré en homme d’Etat mû par le seul souci de protéger la souveraineté d’un pays menacé à ses frontières, et secoué par d’incessantes rébellions depuis son indépendance en 1960. Ils tentèrent de diluer sa responsabilité dans le système administratif tchadien. En vain.

Certes, l’accusé ne leur avait pas facilité la tâche, en refusant de leur adresser la parole au motif qu’il ne reconnaissait pas la légalité de la cour. « L’impunité et la terreur faisaient loi », a résumé le président de la cour, le Burkinabé Gberdao Gustave Kam, un magistrat expérimenté qui eut déjà l’occasion d’analyser d’autres logiques meurtrières lorsqu’il était juge au Tribunal pénal international pour le Rwanda.

L’ex-président est resté impassible

Lundi, vingt-cinq ans après avoir été chassé du pouvoir, les armes à la main, par Idriss Déby – son indéboulonnable successeur –, l’ex-président n’a pas dérogé au rituel auquel il s’est tenu dès les premiers jours de son procès. Il est resté impassible, les yeux mi-clos derrière ses lunettes fumées, la tête enturbannée, drapé dans son boubou blanc et son silence. Y compris lorsque le président de la cour le reconnut coupable d’avoir lui-même violé, à quatre reprises, Khadija Hassan Zidane, dite « Khadija la Rouge ». Les juges ont finalement retenu ce témoin, dont la défense avait tenté de saper la crédibilité.

« C’est la première fois dans l’histoire qu’un ancien chef de l’Etat est condamné par un tribunal international pour des violences sexuelles », s’est félicité l’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights Watch.

Comme à l’accoutumée, Hissène Habré n’ouvrit la bouche qu’au moment de quitter la salle d’audience, en lançant, à l’adresse d’une poignée de partisans, un « A bas la Françafrique ! » sans guère de conviction ni vraiment d’à-propos. Il dispose de quinze jours pour faire appel.

 

Avec le monde