Mi-décembre, les mouvements citoyens et les leaders de l’opposition de République démocratique du Congo (RDC) se sont retrouvés au Sénégal, sur l’île de Gorée, pour un forum de trois jours sur la gouvernance. Dans la foulée, société civile et figures de l’opposition ont créé le 20 décembre à Kinshasa une coalition, le « Front citoyen 2016 », pour empêcher le président Joseph Kabila de violer la Constitution et briguer un troisième mandat en 2016. Accusé par le gouvernement de vouloir « déstabiliser les institutions en RDC », ce « Front citoyen 2016 » entend incarner une force d’opposition et militer pour une alternance politique. Autrefois proche de Joseph Kabila, l’ancien président de l’Assemblée nationale (décembre 2006 à mars 2009), Vital Kamerhe est l’un des leaders de cette opposition. A la tête de l’Union pour la nation congolaise (UNC), il revient sur la création et les objectifs de ce nouveau mouvement.
Qui est à l’origine de cette réunion ayant mené à la création du « Front citoyen 2016 » ?
Ce sont les jeunes militants de la société civile, à l’origine des mouvements citoyens Filimbi, et Lucha. Ils auraient souhaité organiser cette réunion à Kinshasa, mais ils sont considérés comme des « terroristes » par le pouvoir en place qui les soupçonnent de vouloir porter atteinte à la sûreté de l’Etat. Et la restriction des libertés est telle qu’on ne peut pas nous réunir en RDC. Ils nous ont donc conviés sur l’île de Gorée en nous demandant de mettre de côté nos ego et nos agendas politiques respectifs. L’idée était de réfléchir sur la question du processus électoral en Afrique. C’était pour nous, les leaders de l’opposition, une rare occasion de tous nous réunir et d’échanger avec la société civile, l’église catholique.
Face au refus de Joseph Kabila d’organiser les élections présidentielles et de quitter le pouvoir, nous avons besoin de nous mobiliser contre un changement de constitution et d’obtenir le déblocage du processus électoral. Nous réclamons un calendrier avant le 31 janvier 2016 et préparons une grande marche nationale le 16 février.
La date du 16 février coïncide avec la commémoration de la « marche des chrétiens » du 16 février 1992 organisée par l’église catholique pour réclamer la reprise des travaux de la Conférence nationale souveraine…
Cette coalition s’inscrit dans une continuité historique. Une telle dynamique avait été mise en œuvre dès 1959, avec la création d’un front réunissant syndicats, nouveaux partis politiques unis pour l’indépendance. Puis, au début des années 1990, au moment de la Conférence nationale souveraine dont les travaux furent suspendus sine die en janvier 1992. Face à Mobutu Sese Seko s’était formé un front rassemblant la société civile, l’opposition politique réunie au sein de l’Union sacrée de l’Opposition radicale et (ses) alliés et l’église catholique.
La « marche des chrétiens » du 16 février 1992 pour la reprise de la Conférence nationale souveraine fut réprimée dans le sang. Mais ce mariage entre l’opposition politique, les syndicats, la société civile et l’église a vaincu. Et nous espérons que près de 15 ans plus tard, ce Front citoyen parviendra à faire triompher la démocratie et donc l’alternance.
Pour vous le dialogue entre l’opposition et le pouvoir n’est plus envisageable ?
Joseph Kabila fait tout pour que des élections ne puissent avoir lieu. En 2013 déjà, la majorité présidentielle avait évoqué l’idée d’un scrutin indirect. L’opposition s’y est clairement opposée. L’année suivante a été marquée par la création de l’Office Nationale d’identification de la population.
Puis il a conditionné la tenue de l’élection présidentielle à un recensement de la population et a proposé une révision de la loi électorale. Ce qui était trop. Cela fait six ans qu’ils ont démarré le recensement des corps habillés. Et ils n’ont toujours pas terminé. Donc recenser 70 millions de congolais…
Ensuite, on les a vu tenter de vanter un système électoral peu coûteux soit un vote indirect, et même évoquer la nécessité d’un vote électronique dans un pays où le taux d’électrification est de 9 %, ce que ne me semble pas sérieux. Donc le dialogue ou plutôt le forum proposé avec des chefs coutumiers, la majorité au pouvoir et l’opposition qui se retrouve minoritaire et en infériorité n’est pas acceptable.
Je sais qu’il n’a pas encore sorti son véritable agenda. Sa stratégie consiste à gagner du temps pour rester au pouvoir coûte que coûte. Or, il ne faut surtout pas que ce pays, qui compte neuf pays voisins frontaliers, ne sombre. Est-ce que la communauté internationale doit être avant-gardiste et ne pas intervenir après la crise comme au Burundi ? Il faut que l’ONU s’implique et mène des actions pour convaincre le chef d’Etat de quitter le pouvoir. Joseph Kabila a un atout qui est aussi une faiblesse : il est jeune. Il doit comprendre qu’il a encore l’occasion de marquer l’histoire de la RDC en sortant par la grande porte.
Vous êtes pourtant l’un des architectes de l’élection de Joseph Kabila en ayant battu campagne pour lui en 2006. Le regrettez-vous ?
Après la transition (2001-2006), Joseph Kabila m’apparaissait comme le meilleur président. J’ai fait campagne pour le fils de Laurent Désiré Kabila, président patriote, presque souverainiste qui a combattu ce fléau qu’est la corruption. Il me semblait que Joseph Kabila s’inscrivait dans cette lignée. Mais en tant que président de l’Assemblée nationale (décembre 2006 à mars 2009), je l’ai vu évoluer, réviser les contrats miniers et chinois à son avantage, rester sourd aux conseils qu’on lui donnait, et comme obnubilé par l’argent.
Puis, l’entrée des troupes rwandaises en janvier 2009 pour mener une opération conjointe avec l’armée congolaise contre les rebelles hutus rwandais m’est apparue inacceptable. J’ai démissionné. Donc je ne regrette pas et j’assume. Je l’ai fait élire et il devait répondre aux attentes du peuple. Pour moi, Joseph Kabila est comme l’auteur qui tue son œuvre. Il a été l’architecte de la réunification nationale, avant de dévier. Il doit désormais comprendre qu’il y a une vie après le pouvoir.
Quel est l’accord que vous avez passé avec l’ancien gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi, que vous avez récemment rencontré à Londres en octobre puis à Lubumbashi début novembre ?
Avec Moïse Katumbi, on s’est mis d’accord sur deux choses : la nature de notre lutte commune et notre attitude. On a décidé d’unir nos forces pour un respect de la Constitution et pour l’alternance, d’oublier nos ambitions dans un premier temps. Ensuite, la question de la candidature unique se posera. Et naturellement, nous sommes tous en lice et déterminés. Il faut que chacun d’entre nous soit prêts à faire des concessions pour préserver cette union. Ce binôme que je forme avec Moïse Katumbi, nous devons le gérer et le préserver pour montrer l’exemple en Afrique centrale. Il y a un côté expérimental. Et nous sommes conscients de notre responsabilité historique.
Êtes-vous aujourd’hui dans une posture de rejet total de Joseph Kabila ?
Je n’ai rien contre l’individu mais je rejette totalement le système Kabila. Le pays est gouverné par un clan qui accapare les richesses. Sa famille biologique et politique dirige le pays, au détriment de l’Etat.
Pensez-vous à nouveau devoir inciter les militants et le peuple à sortir dans la rue au risque d’un bain de sang ?
C’est un droit inscrit dans la Constitution que de descendre dans la rue et manifester. Aujourd’hui, aucune armée ne peut vaincre la volonté du peuple. Militaires et policiers sont des Congolais qui savent bien ce qui se passe et que nous militons pour des valeurs démocratiques. On doit chasser la peur. Et nous, les leaders politiques, on sera en première ligne s’il le faut.
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