La République démocratique du Congo (RDC) fête ce jeudi 30 juin 2016 le 56eme anniversaire de son accession à l’indépendance. Une célébration qui intervient sur fond d’incertitudes liées au cycle électoral qui connait des difficultés. Et d’un dialogue politique dans l’impasse. L’indépendance de la RDC, c’est aussi une page d’histoire brièvement rappelée dans les lignes qui suivent.
Le 30 juin 1960, quatre personnalités politiques, les deux Premiers ministres belge et congolais, Gaston Eyskens et Patrice Lumumba et leurs ministres des Affaires étrangères respectifs Pierre Wigny et Justin-Marie Bomboko, apposaient leur signature sur l’acte de l’indépendance du Congo. Une déclaration conjointe entre les gouvernements congolais et belge pour entériner l’accession de l’ancienne colonie belge à la souveraineté internationale.
56 ans plus tard, la RDC cette fête historique sur fond d’incertitudes sur l’alternance démocratique et que l’élection présidentielle prévue pour avoir lieu en novembre de cette année est improbable. Le dialogue politique convoqué par le président Kabila peine à s’ouvrir au moment où une large frange de l’opposition soupçonne le chef de l’Etat congolais - dont le deuxième et dernier mandat s’achève en décembre - de chercher à manœuvrer pour s’accrocher.
«Ceci est le signe que l’espace politique congolais est un échec patent si on le compare à celui des années 60. Ces gens-là, malgré leur niveau, ont réussi pourtant à parler le même langage au tour d’une table avec les blancs et arracher l’indépendance», commente avec une pointe de dépit le Professeur Mwayila Tshiyembe, directeur de l’Institut panafricain de géopolitique de Nancy à Paris (France).
Mais qu’ont fait en réalité « ces gens-là » pour « arracher l’indépendance ? »
Le vent de l’indépendance souffle sur l’Afrique
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les mouvements indépendantistes commencent à se structurer en Afrique. Les protestations contre le système colonial vont croissant, surtout en Afrique du Nord qui s’empare très tôt de cette revendication. Le sujet devient d’une brûlante actualité.
Dans la foulée, les anciennes métropoles accordent progressivement l’indépendance à leurs colonies : l’Italie à la Libye (en 1951), la Grande Bretagne à l’Egypte (en 1953), la France au Maroc et la Tunisie (en 1956).
Sentant venir ce vent, Joseph van Bilsen, commissaire du roi des Belges à la Coopération au développement publie en 1955 une étude intitulée « Plan de 30 ans pour l'émancipation politique de l'Afrique belge ». Il propose donc un plan de 30 ans pour l’émancipation du Congo Belge et du Rwanda-Burundi, les deux colonies belges d’Afrique centrale.
Selon le plan Bilsen, l’indépendance du Congo Belge devrait être progressive, et commencer par la formation des élites locales à la gouvernance au niveau des villes et des localités pour ensuite accorder l’émancipation à des entités territoriales dont les élites se seraient distinguées par un certain niveau de maturité dans la gestion des affaires publiques, explique Thomas Luhaka, actuel vice-Premier ministre et ministre des Postes, télécommunications, nouvelles technologies de l'information et de la communication (PT-NTIC), grand passionné de l’histoire de la RDC, au cours de l’émission « Je connais le Congo » qui retrace l’histoire du Congo Belge.
Ce plan fera réagir. D’abord l’administration coloniale belge qui accusera Van Bilsen de trahison. Ensuite deux organisations des autochtones : la Conscience Africaine et l’Alliance des Bakongo.
Le manifeste de la Conscience Africaine, première déclaration politique des Congolais
Dans la première ligne, la Conscience Africaine, une association des jeunes évolués congolais créée par un prêtre diocésain, l’Abbé Joseph Malula. Ce groupe composé notamment de Joseph Ileo, Albert Nkulu, Dominique Zangadie, Antoine Ngonza et Victor Djoli publiera en 1956 en réaction au plan de 30 ans de Van Bilsen un article intitulé « Manifeste » dans le bimensuel « la Conscience Africaine » qu’ils avaient créé.
Dans cet article, la Conscience Africaine demande notamment à l’administration coloniale d’adhérer au plan de 30 ans de Van Bilsen pour une indépendance progressive et d’être associé à la rédaction de ce plan.
«Les membres de la Conscience Africaine ignoraient encore que ce plan était déjà rédigé», explique Thomas Luhaka.
La déclaration des évêques du Congo
Dans la foulée, les évêques catholiques, la plupart blancs, entrent dans la danse. Le 29 juin 1956, ils sortiront une déclaration dans laquelle ils soutiennent que « l’émancipation d’un peuple est un droit légitime » et affirment que « chaque peuple a le droit d’être émancipé ».
Ils condamnent également le racisme sous toutes ses formes. Pour lier la parole à l’acte, ils sacrent successivement Pierre Kimbondo, Kongolo et Joseph Malula, trois abbés d’origine congolaise, évêques.
«Les évêques voulaient tout simplement anticiper sur la dynamique de l’histoire car le vent de l’indépendance soufflait du Nord au Sud», fait observer le professeur Mwayila Tshiyembe.
Cette déclaration scellera le divorce entre l’église catholique et l’état colonial, souligne de son côté Thomas Luhaka.
La Déclaration de l’Abako
Les deux précédentes déclarations feront finalement réagir, l’Alliance des Ba Kongo, une association des évolués d’origine Kongo qui revendiquaient le leadership dans Léopoldville (Actuelle Kinshasa). Au terme d’une assemblée générale extraordinaire convoquée le 16 juillet 1956 pour la circonstance, le leader de l’Abako Joseph Kasa-Vubu, au nom de l’association, rejette totalement le plan de 30 ans de Van Bilsen et réclame l’émancipation immédiate.
«Puisque l’heure est venue, il faut nous accorder aujourd’hui même l’émancipation plutôt que de la retarder encore de 30 ans » déclara-t-il ce jour-là, rapporte Thomas Luhaka.
Le 4 janvier 1959, le déclic
Le 4 janvier 1959, des émeutes éclatent à Léopoldville après que les autorités coloniales ont interdit aux membres du parti politique Abako (Alliance des Bakongo) de manifester. Cette révolte populaire va durer trois jours. La répression est très violente. Le bilan officiel est de quarante-neuf morts. Mais d'autres sources, notamment celles de l'Abako parlent des centaines de morts.
« L’implication majeure de cette révolte est l’obtention de l’indépendance le 30 juin 1960 », affirme le père Léon de Saint Moulin. Les événements de janvier 1959 accélèreront l’accession à l’indépendance.
« C’est un jour qui marque une étape décisive dans la conquête de l’indépendance. Le pouvoir colonial a dû prendre conscience que l’indépendance était une aspiration profonde et les gens l’ont manifesté. Officiellement on parle de 49 morts mais on dit qu’il y en a eu 100 et peut-être 300. L’administration a été affolée quand elle a vu le lendemain, le nombre de morts », note l’historien belge qui s’est installé en RDC depuis août 1959.
La Table Ronde et l’obtention de l’indépendance
Ces mouvements de résistance aboutissent à l’organisation de la table ronde de Bruxelles du 20 janvier au 21 février 1960. Ce forum regroupe dans la capitale belge l’élite congolaise, les chefs coutumiers de l’époque et le gouvernement belge.
Au début des travaux, deux options contradictoires émergent. Le ministre belge des colonies tient à ce que la table ronde définisse les structures politiques, analyse les problèmes politiques qui se posent dans la colonie et mette sur pied un calendrier d’exécution. La majorité de l’élite congolaise estime qu’il faut d’abord fixer la date de l’indépendance.
Sur ce point, les Congolais avancent la date du 1er juin 1960. Les Belges proposent d’abord le 15 juillet 1960. Finalement, la poire est coupée en deux: la date du 30 juin est retenue par toutes les parties. Jean Bolikango, l’un des pères de l’indépendance, annonce le 27 janvier 1960 à Bruxelles que l’indépendance du Congo sera proclamée le 30 juin 1960.
Les premières élections législatives nationales ont lieu du 11 au 25 mai 1960. Elles mettent en compétition les candidats des 40 partis politiques, précise Pamphile Mabiala dans son livre « Les élections dans l’histoire politique de la RDC de 1957 à 2011 » publié a Kinshasa aux éditions Mediaspaul.
Au terme de ces élections, le MNC de Patrice Emery Lumumba et ses alliés sortent vainqueur et Lumumba est désigné Premier ministre.
De son côté, Joseph Kasa-Vubu est largement élu au suffrage indirect par le premier Parlement congolais comme le premier président de la jeune République du Congo face à Bolikango.
La Proclamation de l’indépendance du Congo à Léopoldville
Le 30 juin 1960, les cérémonies de la proclamation de l’indépendance débutent à 11h45. Arrivé la veille dans ce qui était encore la capitale du Congo-Belge pour l’occasion, le roi des Belges rend hommage à « l’œuvre conçue par le génie du roi Léopold II et continuée avec persévérance par la Belgique ».
L’allocution suivante, prononcée par Joseph Kasa-Vubu, le chef du nouvel État congolais, est ressentie comme une offense par les nationalistes congolais.
Au lieu de célébrer l’émancipation de son peuple, le tout nouveau président de la République rend un hommage appuyé à l’ancienne métropole. Le chef du gouvernement, Patrice Emery Lumumba, se sent alors dans l’obligation d’intervenir alors que le protocole ne l’avait pas prévu. Il prononce des paroles qui entreront dans l’histoire et détermineront pour beaucoup son avenir proche :
«Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir parce que nous étions des nègres».
Le recadrage de Lumumba se résume en ceci : c’est par la lutte que les congolais ont conquis leur indépendance.
«Lumumba n’a fait que dire tout haut ce que beaucoup de Congolais de l’époque pensaient tout bas», commente le professeur Mwayila Tshiyembe de l’institut panafricain de géopolitique de Nancy.
Vous pouvez suivre l’intégralité du discours de Lumumba sur ce lien :
D’après un article paru le 30 juin 2003 à Jeune Afrique, Lumumba aura l’occasion d’expliquer les raisons qui l’ont poussé à ce discours qui avait gêné.
Alors en fuite, traqué par les sbires de Mobutu, Lumumba dont la voiture tombe en panne va trouver refuge chez un certain Albert Hermant, exploitant forestier du Kasaï, le long de la route qui mène à Stanleyville.
Avec lui, Lumumba s’est confiera et son interlocuteur notera tout. Quatre décennies plus tard, Hermant communiquera au quotidien belge Le Soir l’essentiel de son texte, qui le publie les 3 et 4 novembre 2001. «Mon discours n’était en rien dirigé contre le roi, que je considère comme un homme honnête sans pouvoirs réels, ni contre le colonisateur, lui confia le Premier ministre en fuite, mais se voulait une réplique cinglante à l’allocution du président de la République, qui, selon nos accords, aurait dû me soumettre le texte de son discours et ne l’avait pas fait», expliquera notamment Lumumba à son interlocuteur.
Quel Bilan faire, 56 ans après ?
Pour beaucoup de ceux qui ont vu le Congo accéder à l’indépendance, cet événement rimait avec la fin de la torture, la jouissance de la liberté et surtout la possibilité d’avoir un travail décent dans un environnement sain.
« 56 ans après, me voici réduit à vendre des glaces pour vivre. Pourtant, Lumumba nous avait promis une meilleure vie que celle que nous avions avant l’indépendance. Apres l’indépendance, je n’ai en tout cas pas eu du mal à trouver du travail car la classe politique de l’époque se soucier du peuple. Aujourd’hui, qui pense à moi ? En tout cas ce ne sont pas les politiciens d’aujourd’hui qui sont plus préoccupés à remplir leur propre poche. Nous sommes passés à côté du vœu des pères de l’indépendance de bâtir une société meilleure », confie Jean-François, un octogénaire qui a vécu l’indépendance de la RDC.
Le point de vue de Mwayila Tshiyembe est à l’avenant.
«A l’époque, les Congolais vivaient mieux et le pouvoir d’achat était probablement le plus élevé d’Afrique. 56 ans après, la misère des Congolais n’a jamais été aussi béante, note-t-il avant de nuancer son propos, certes sur le plan socio-économique, le chemin a été fait. Il faut saluer la stabilité du cadre macroéconomique, après le gouffre dans lequel le régime Mobutu a plongé le pays».
Le géopoliticien est plutôt ferme face à l’évolution de la classe politique.
«Avant que les belges ne soient contraints à donner l’indépendance aux Congolais, la plupart des élites n’étaient pas des intellectuels. Mais face aux enjeux de l’avenir du pays, ils ont fait preuve d’une maturité exceptionnelle en arrachant l’indépendance auprès des Belges. Aujourd’hui, le Congo a trop d’élites intellectuelles au sein de la classe politique. Et qu’est-ce qui se passe ? Devant les enjeux de l’avenir de la nation dont le compromis au sujet de l’organisation des élections dans le délai pour éviter le chaos, la classe politique congolaise se chamaille. C’est une classe politique à conscience défaillante que nous avons aujourd’hui», estime cet intellectuel congolais.
Avec Radio Okapi
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