Depuis le 25 août, deux imams de la mosquée centrale de Butembo, ville voisine de Beni, sont entendus devant un tribunal militaire d'exception qui instruit les massacres à répétition dans cette partie du territoire congolais. Car les autorités congolaises privilégient la piste jihadiste. Qu'en est-il vraiment ?
- Les pistes de l’armée
« Nous avons toujours dit et répété que nous avons affaire à une menace terroriste à Beni. » Joint au téléphone, lundi 29 août par Jeune Afrique, le lieutenant Mak Hazukay Mongba, porte-parole del’opération « Sukola 1 » (nettoyer, en lingala) ne voit pas d’autres hypothèses qui pourraient expliquer la persistance des massacres des civils dans ce territoire du nord-est de la RD Congo.
Nous avons ramassé des pages de coran et trouvé des djellabas
À en croire cet officier des Forces armées de la RD Congo (FARDC), directeur de la communication et de sensibilisation du secteur opérationnel Grand Nord, la piste jihadiste privilégiée par les autorités congolaises doit être prise très au sérieux. « Plusieurs preuves nous confortent aujourd’hui dans cette position », assure-t-il.
« Des déclarations que nous avons recueillies auprès de beaucoup de combattants islamistes intégristes capturés démontrent que ces ADF [Forces démocratiques alliées, groupe rebelle ougandais à l’origine, ndrl] cherchent à imposer la religion musulmane à Beni. Une fois totalement conquis, ils voudraient lancer à partir de ce territoire congolais des expéditions de conversion dans les autres pays de la région des Grands Lacs », poursuit le lieutenant Mak Hazukay.
« Un enfant âgé de 4 ou 5 ans capturé dans un camp d’ADF nous a expliqué comment ces islamistes radicaux l’ont appris à manier des armes. Pis, ils lui enseignaient qu’il fallait combattre les païens, les mécréants », souligne-t-il pour soutenir ses accusations.
Selon l’armée congolaise, la « documentation » trouvée dans les différents quartiers généraux (QG) repris aux ADF constitue une autre preuve de la présence jihadiste à Beni. « Après leur fuite, nous avons ramassé des pages de coran et trouvé des djellabas sur des corps de certains combattants tués », ajoute le porte-parole de l’opération « Sukolo 1 ».
- Une mosquée dans le viseur, deux imams à la barre
D’où vient cette « documentation » et qui endoctrine et radicalise ces insurgés ? Les soupçons pèsent sur la mosquée centrale de la ville voisine. « À Butembo, un imam a été repris en flagrant délit de recrutement de jeunes pour le groupe terroriste et a été arrêté » le 17 août, selon Lambert Mende, porte-parole du gouvernement congolais.
L’information est vite démentie par la communauté islamique locale : la personne arrêtée – un certain Kassim Mupenda – et présentée par les autorités judiciaires comme un membre du groupe ADF, ne serait qu’un fidèle musulman et non un imam. Mais une fois devant la barre, le suspect accuse deux responsables de la mosquée centrale de Butembo d’être au cœur du réseau jihadiste à Beni.
Un imam passé par l’Arabie saoudite soupçonné d’être l’idéologue des ADF
« Il s’agit de Djibril Muhindo Mukanda, vice-représentant régional de l’islam chargé du développement, et Hameau Baguma, imam de la mosquée centrale de Butembo », confirme le lieutenant Mak Hazukay. Le premier est soupçonné d’avoir accueilli des Tanzaniens et des Somaliens depuis 2004 à Butembo avant de les envoyer combattre auprès des ADF à Beni, alors que le second, qui a effectué des études islamiques en Arabie saoudite, serait l’idéologue du groupe terroriste, à en croire le présumé ADF qui les a cités.
Les deux chefs religieux ont été interpellés le 25 août et entendus dans la foulée en qualité de « renseignants » devant le tribunal militaire d’exception de Beni où s’est ouvert le procès sur les tueries en série perpétrées dans cette partie du territoire congolais. Une situation qui inquiète la communauté musulmane locale. Elle crie au « complot » orchestré par les services de sécurité contre ses imams.
- Des soupçons de longue date
Dès le lendemain de la tuerie de la mi-août qui avait fait une cinquantaine de morts dans les quartiers périphériques de Beni, c’est Lambert Mende qui avance le premier l’hypothèse d’une attaque terroriste.
« Ces massacres sont le fait de groupes islamistes radicalisés ou jihadistes selon des informations concordantes recueillies dans leurs bases de repli de Mwalika et Naduyi récemment capturées et détruites par les FARDC », affirme le ministre dans un communiqué, soulignant que « la RDC a déjà eu à alerter le monde sur cette menace jihadiste (…) au cours de différentes réunions de la Conférence internationale pour la région des Grands Lacs (CIRGL) ».
Mais Kinshasa n’avait pas encore publiquement, jusqu’ici, qualifié de « groupe jihadiste » les Forces démocratiques alliées (ADF), soupçonnées d’être les auteurs de la série des massacres à Beni. Même si, au niveau de sa province, Julien Paluku, gouverneur du Nord-Kivu, lui, affirmait déjà à Jeune Afrique en 2013 que des Shebab combattaient aux côtés des ADF et des groupes armés nationaux et étrangers qui pullulent dans l’est de la RDC.
- Les limites de la piste jihadiste
Pour Jason Stearns, ancien expert de l’ONU et aujourd’hui directeur du Groupe d’étude sur le Congo, « la dénomination de ‘jihadiste’ ne permet pas de comprendre davantage ce qui se passe réellement à Beni ».
Les groupes armés impliqués dans la violence à Beni sont beaucoup plus motivés par des enjeux politiques et militaires locaux
Expulsé début avril du territoire congolais pour avoir notamment soutenu que « certains militaires congolais [avaient] participé aux massacres » dans cette partie de la RDC, le chercheur américain rappelle : « Malgré plusieurs recherches des groupes d’experts des Nations unies et ma propre investigation [à travers le Groupe d’étude sur le Congo], nous n’avons pas pu établir des liens clairs entre les assassins et les réseaux jihadistes internationaux ».
« S’il est vrai que les ADF sont un groupe avec une idéologie d’inspiration musulmane, nous pensons en revanche que les différentes milices qui sont impliquées dans la violence à Beni sont beaucoup plus motivées par des enjeux politiques et militaires locaux que par une inspiration religieuse », conclut Jason Stearns.
Sur le terrain, appuyée par les forces onusiennes de la Monusco, l’armée congolaise dit poursuivre la traque des éléments ADF. « Nous avons multiplié nos patrouilles sur plusieurs axes pour dissuader les incursions de ces terroristes et localiser leurs QG », affirme le lieutenant Mak Hazukay. Suffisant pour mettre fin à l’activisme d’un groupe armé actif dans la région depuis plus de 20 ans ?
« Il faut travailler avec le gouvernement et de façon très rapprochée. Il est évident qu’il faut travailler avec les FARDC de façon très rapprochée et arrêter une stratégie différente », a préconisé lundi Maman Sidikou, chef de la Monusco, qui s’est rendu sur le lieu du récent massacre, près de la ville de Beni. « Nous comptons les morts les uns après les autres : ça ne peut plus continuer », a-t-il promis. Sans s’avancer sur la piste jihadiste privilégiée par Kinshasa.
Trésor Kibangula / Jeune Afrique
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