La jadis belle Alep, un Stalingrad syrien?
La bataille de toutes les batailles pour la guerre de Syrie? Alep, même défigurée fut le rêve d'une rébellion présentée comme modérée, organisée et moderne, en un mot urbaine. Connectée au monde par l'emprise qu'elle avait sur un patrimoine historique et culturel. Récit chéri par les médias avides d'enthousiasmes et de romantisme. Ce rêve pourrait finir dans ce qui ressemble aujourd'hui à un cauchemar. Cauchemar morbidement mis en scène et dont l'opinion publique sera la comptable non consentante. Sans doute oui, on ne peut gagner une guerre sans partager un rêve. Le rêve d'Alep est celui d'une Syrie en paix.
Il n'y a précisément rien de modéré ni d'urbain dans ce type de guerre. Aussi sophistiquées soient-elles, les armes ne feront jamais de cette chose qu'est la guerre une chose moderne. Rien n'est moins fondamentalement moderne qu'un homme tuant un autre homme. L'Histoire a déjà montré que la haine ne faisait jamais gagner la guerre, que c'est ceux qui rêvaient de la paix la plus juste qui l'emportaient.
Un tournant?
Certainement celui d'un retour en position de force avant que ne vienne l'heure de Raqqa. Car qui ira au sol à Raqqa contre Daech sinon Damas? Mais Damas en aurait-il le besoin? Damas souhaite faire à Alep ce que Bagdad s'apprête à faire à Mossoul: La libérer de l'EI.
Aider Alep, oui. Mais n'est-ce pas encore un nouveau rêve? Regardons la réalité en face car nous étions prévenus depuis des mois de la situation. Ceux qui feignent de la découvrir sont des cyniques sans doute peu amis avec l'idée de la paix. Chaque jour, les bombes tombent sur ce joyau historique et culturel inscrit au patrimoine de l'Unesco. C'était en 1986. Plus de 150 bâtiments historiques ont été détruits. 2e ville de Syrie, elle rassemblait en 2009 plus d'1,5 millions d'habitants. Et je ne parle même pas des infrastructures industrielles détruites par les bombes ou vendues par ce qui se dit rebelles. Aujourd'hui, c'est moins de 200 000 habitants pris en otage par les combattants d'Alep Est. Alep c'était un modèle d'intégration de toutes les communautés qui vivaient ensemble depuis plus de 1000 ans. C'est ce modèle que les protagonistes extérieurs ont voulu tuer.
Oui, la vérité c'est que les populations d'Alep Est sont sous les bombes russes et syriennes mais sont, dans les faits, les otages des rebelles. Qui sont-ils? Il y a deux coalitions rebelles sur Alep, la coalition Jays al Naser dirigée par al-Nosra rattachée à Al-Qaeda et comprenant les katibas al-Zinki et Suqour es-Sham et la coalition Fatah Halep, comprenant des rebelles d'Alep mais qui ne commande quasiment aucune opération militaire. Or, depuis le printemps 2016 et les renforts envoyés par al-Nosra ainsi que ses victoires, les extrémistes jouissent d'une aura de prestige pour leurs relatifs succès militaires. Ils mènent une véritable guerre insurrectionnelle dans Alep en infiltrant la population civile et en utilisant tous les moyens à leur disposition pour échapper aux bombes russes... dont les hôpitaux. Mais devant ce jeu macabre la roue semble tourner.
Le dernier projet de Paris pour Alep
La France quant à elle souhaite relancer l'accord de cessez-le-feu russo-américain rendu caduque par la frappe erronée: l'aviation de la coalition internationale avait bombardé l'armée syrienne le 17 septembre à Deir ez Zor. De leur côté les USA, dans une logique continue de blocage, menacent de refuser de reprendre les discussions pour la relance de l'accord tant que les bombardements russes se poursuivent sur Alep.
Tout le monde sait que Poutine a le champ libre avec les présidentielles américaines. Peut être est ce aussi en coordination? Pourquoi ne profiterait-il pas du boulevard ouvert devant lui pour forcer l'occident à choisir entre Bachar et Daech, avant janvier 2017, date du nouveau POTUS?
Certes, Paris a présente lundi 3 octobre, à l'ONU son projet de résolution pour appeler au rétablissement du cessez-le-feu abandonné le 17 septembre dernier mais rien ne valait déjà dans l'accord initial américano-russe en dehors d'Alep. C'en était le sujet principal. Le but était semble-t-il d'avoir du temps pour aider les rebelles dits modérés.
Mais qui désire encore de cet accord? Plus qu'une dissension interne américaine qui a dû aussi jouer, les soutiens de la rébellion syrienne, dont l'Arabie Saoudite n'ont aucun intérêt à voir l'accord être reconduit et maintenu. En effet, si le camp du regime gagne, que deviendront les rebelles armés? Où iront-ils? Iront-ils gonfler les rangs de Daech, se retourneront-ils contre leurs soutiens? Accepteront-ils de rendre les armes? La question de la sécurité en Syrie concerne depuis longtemps bien plus que le seul l'équilibre du moyen orient et je ne parle même pas des camps de réfugiés. Pour comprendre une stratégie, il faut connaitre le coup d'après. La stratégie immédiate était donc de faire d'Alep un mot clé dans la campagne présidentielle américaine ce qui a été un succès total de ce point de vue. Mais le point de vue de Bachar, quant à lui, c'est que la population qui reste à Alep est utilisée par les combattants rebelles. Le coup d'après concerne donc l'avenir de la Syrie comme final et comme résonnance, Mossoul côté Irakien, qui s'apprête aussi à changer de mains dans les semaines qui viennent...
Les jours qui s'annoncent verront sans doute un nouveau cessez-le-feu prononcé pour permettre ultimement à la population de fuir et aux combattants rebelles de baisser les armes. Les russes proposent aux combattants de quitter le combat par un couloir sanitaire, sans succès compte tenu de ce que nous avons expliqué sur la valeur de la population civile pour les rebelles. Concrètement pour les rebelles, laisser la population civile partir, c'est être voué à une défaite rapide en perdant toute possibilité de faire basculer l'opinion publique occidentale.
3 mois pour agir avant Raqqa, Mossoul et le nouveau POTUS
Quelle Histoire écrit-on par tout ce sang versé? Une respiration théâtrale avant le nouveau coup tragique d'un spectacle cynique? Je ne crois pas que les joueurs d'échec rêvent or, c'est bien la seule tactique qui puisse conduire à la paix. Laquelle est toujours, quoi qu'on en dise, une belle victoire face à la haine et à l'absurdité. Sur le chemin de la paix pour Alep, il faut sans doute penser à Raqqa et à Mossoul et au de la, a la paix au Moyen Orient.
Al-Mutanabbi disait: "Ils savent la beauté de ses lèvres quand on la salue, et il n'y a que Dieu qui sait celle de la bouche et des dents"... Peut-être pensait-il a toutes ces victimes.
Avec Karim Noujam / Le Monde
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