Chef de la police à Kinshasa, le général Célestin Kanyama, surnommé "esprit de mort", a été le premier élément du système sécuritaire du Président Joseph Kabila à être sanctionné par les États-Unis. Cinq mois plus tard, l'officier continue à protester et à dénoncer une injustice.
C’est un homme blessé qui est venu à notre rencontre, dans le restaurant d’un modeste hôtel de Kinshasa. Le redouté chef de la police de Kinshasa, le général Célestin Kanyama, impressionne encore dans son uniforme impeccablement repassé. Mais il n’a pas digéré les critiques venues d’Occident, et en particulier le gel des avoirs prononcés contre lui par le trésor américain. Il en a été la première cible au sein du régime.
Deux autres ont suivi depuis : John Numbi et Gabriel Amisi. Avec sa voix de stentor et ses yeux écarquillés, il proteste vigoureusement contre ce qu’il ressent comme une injustice.
Jeune Afrique : Quelle est l’atmosphère à Kinshasa ? Ressentez-vous des tensions ?
Célestin Kanyama : Aucune. Vous êtes ici, vous avez dû le constater : tout est calme. Nous avons un peuple pacifique, qui respecte l’autorité établie. Il ne faut pas que les étrangers viennent lui apprendre la violence.
En septembre dernier, pourtant, il y a eu de très violentes manifestations contre le maintien au pouvoir du Président Joseph Kabila…
Justement. Depuis, la population est en désaccord avec ceux qui viennent ici apprendre et pratiquer la violence. Elle n’adhère plus aux méthodes de l’opposition. D’ailleurs, certains ont récemment voulu organiser un sit-in. Que s’est-il passé ? Rien du tout. Ils n’ont plus d’adeptes.
N’est-ce pas plutôt la répression qu’ils craignent ? Lors des manifestations de septembre, il y a eu des morts par balle…
Au départ, nous nous étions mis d’accord sur un itinéraire avec les manifestants. Mais la police a été surprise par des actes de violence et de destruction. Donc nous avons été contraints d’intervenir. Quand des casseurs incendient des bâtiments, des véhicules, quand ils volent les armes des policiers, que voulez-vous qu’il arrive d’autre ?
Cinq policiers ont été tués pendant ces heurts. Les véritables responsables des troubles sont les organisateurs et ceux qui tiennent des discours incendiaires.
Quels étaient vos ordres ?
Les ordres étaient d’empêcher les violences. Mais mes hommes utilisent toujours des armes non-létales.
Puisque vous dites que la population est calme désormais, pourquoi ne pas autoriser les manifestations ?
Le gouvernement provincial a estimé qu’avoir des manifestations de rue, dans le contexte actuel, ce n’était pas la priorité. Mais c’est au gouverneur qu’il faut poser la question. Ma responsabilité, c’est la sécurité. Je ne m’occupe pas de politique. Je ne fais que suivre les ordres.
Est-ce que les difficultés économiques actuelles provoquent un regain de criminalité ?
Il y a des réalités mondiales, que d’ailleurs la population ne comprend pas toujours. Mais pour l’instant, on ne sent pas d’effet. Nous sommes une mégalopole de plus de 12 millions d’habitants, donc, comme toutes les grandes villes, ce n’est pas le paradis. Mais comparée à Paris, Bruxelles ou Johannesburg, Kinshasa est une oasis de sécurité. Par rapport à ce que c’était il y a cinq ou dix ans, l’autorité a fait un considérable bon en avant.
C’est en partie la conséquence de l’opération Likofi, que vous avez dirigée ?
Non. Likofi est une action de la population elle-même, qui s’est auto-prise en charge. C’est elle-même qui arrêtait les bandits.
Le Trésor américain a pourtant gelé vos avoirs en citant à cette opération. Comment l’avez-vous vécu ?
C’est une injustice. En Occident, il y a des endroits où l’on abat les nègres… Imaginez que notre ministre des Finances se réveille un jour et dise : « Je sanctionne le préfet de Paris. » Il faut respecter la souveraineté des États ! D’ailleurs, je n’ai même pas d’avoirs aux États-Unis. Je n’y suis même jamais allé de ma vie !
Mais en RDC, le dollar est très utilisé, y compris dans les banques locales. Est-ce que les sanctions vous ont touché ?
C’est vrai qu’ici on utilise le dollar. Il est possible que le gel des avoirs perturbe certains circuits financiers… Mais je veux dire que les occidentaux incriminent tout le monde sauf eux-mêmes. Ce n’est pas bien. Il ne faut pas décourager ceux qui sont au service du peuple.
Avec Jeune Afrique / Pierre Boisselet
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