Le plan de balkanisation de la République démocratique du Congo est bel et bien une réalité. C’est du moins ‘‘la nette impression’’ du Cardinal Fridolin Ambongo Besungu qui vient de boucler son périple à l’est du pays (Beni, Butembo…) fin décembre 2019. Une impression qui pousse le Primat de l’Eglise catholique de la RDC à tirer la sonnette d’alarme à travers un entretien accordé à la presse et diffusé sur les réseaux sociaux.
La toute première tournée du Cardinal Fridolin Ambongo à l’Est de la RDC s’avère révélatrice. Issu de la province de l’Equateur, à l’Ouest du pays, cet évêque catholique vient de palper du doigt les affres que vivent au quotidien ses compatriotes de l’autre bout du pays, en proie à des attaques armées sanglantes venant aussi bien de groupes armés locaux que des factions armées étrangères.
«Le temps que j’ai passé là-bas en regardant, en écoutant, en échangeant avec les uns et les autres, j’ai la nette impression qu’il y a un projet de balkanisation de notre pays. Il ne faut donc pas se voiler la face. Il y a une volonté de mettre notre pays à genou. De prendre un morceau de ce pays’’, fustige le Cardinal Ambongo, se fiant aux informations recoupées depuis Bunia, en passant par Beni, Butembo, Goma jusqu’au Plateau de Fizi... «Est-ce que ce projet va se réaliser un jour ?», s’interroge l’archevêque de Kinshasa. «Je crois, répond-t-il, que tout dépend de nous, peuple congolais».
«J’ai senti comme un vent de terreur dans cette population»
C’est un Cardinal profondément peiné par l’état dans lequel il a trouvé ses compatriotes de l’Est qui a lâché : «J’ai compris que le peuple de cette partie de notre pays souffre. Non pas parce qu’il a commis une faute, mais plutôt suite à la barbarie d’un groupe qui est manipulé par des mains invisibles. Et pour quelle finalité ? Nous n’arrivons pas encore à comprendre».
«La première chose qui m’a frappé, c’est la souffrance de ce peuple, reconnait l’évêque congolais. J’ai senti comme un vent de terreur dans cette population terrorisée par un ennemi invisible. Un ennemi qui poursuit quelle finalité ? Je ne le sais pas !».
«L’ERREUR QUE NOUS COMMETTRIONS, C’EST DE NOUS QUERELLER ENTRE NOUS»
Tout en appelant à des correctifs dans la gestion des FARDC, Fridolin Ambongo exhorte ses concitoyens à ne pas tirer à boulets rouges sur des hommes de troupes présents au front. «L’erreur que nous commettrions dans le contexte actuel, c’est de nous quereller entre nous. Et là, je l’ai dit et répété plusieurs fois là où je suis passé…», martèle le quatrième cardinal congolais.
«Il y a notre force armée qui est en première ligne. Il y a des militaires qui sont morts pendant que j’étais là. Je crois à cet effet qu’il faut beaucoup de considérations pour nos soldats, (bien que l’on décèle) des faiblesses dans cette armée… Certainement, il y a des choses à corriger !», indique le Prélat catholique.
DONNER DES MOYENS CONSEQUENTS A L’ARMEE
Déterminé à faire de 2020, l’année de réconciliation, le Cardinal Ambongo appelle ses compatriotes à l’unité, en leur déconseillant de se livrer à ce malin plaisir de s’éclabousser à longueur de journée. Se voulant rassembleur, le conseiller du Pape dans les deux Congo appelle particulièrement les dirigeants de son pays à prendre leurs responsabilités pour défendre le territoire national.
«La grande responsabilité, dit-il, c’est d’abord aux autorités de Kinshasa. Puisque l’armée est composée des hommes, et que ces hommes, il faut les prendre en charge, il importe de leur donner des moyens conséquents pour assurer leurs missions… En même temps, nous savons que notre armée est un peu comme infiltrée. Il faut donc mettre de l’ordre dans cette armée pour que la population puisse s’identifier. Autrement, il y a une sorte de manque de confiance entre d’un côté la population et son armée. Ce qui est bien dangereux».
«NOUS NE DEVRONS PAS NOUS FAIRE LA GUERRE»
D’après ce membre influent de l’épiscopat catholique, il y a aussi un défi à relever du côté de leaders politiques avec qui il affirme avoir eu des échanges. «Ce n’est pas du tout bien de continuer à pointer du doigt tout le temps l’armée, la police ou la Monusco, comme si notre malheur venait de ces gens», lâche Fridolin Ambongo.
«En fait, assure-t-il, la stratégie de balkanisation passe par là ! On veut nous opposer ! On oppose l’armée à la population, la police à la population… On veut faire croire à notre population que l’armée ne fait pas son travail ! Tout cela participe à une stratégie. C’est pourquoi nous devrons rester très prudents, vigilants…».
«Il nous faut donc corriger, conclut l’évêque catholique. Que ce soit de la part de l’armée, de la police, de la Monusco… Mais, nous ne devrons pas nous faire la guerre entre nous, en nous fragilisant, en laissant libre chemin à celui qui a planifié déjà le plan de la balkanisation pour notre pays».
DEFENSEUR DES OPPRIMES
Cette réflexion qui émane d’un leader religieux influent du pays n’est pas à prendre à la légère. D’autant que ce clergé est loin d’être un maillon de cette classe politique congolaise qui se plairait à adapter son discours à ses intérêts partisans. Il est encore moins un ressortissant de l’est du pays qu’on pourrait accuser d’avoir des penchants ethniques pour tel ou tel courant de belligérants.
Ayant juré depuis Vatican d’être un Cardinal au service du peuple, l’évêque catholique a choisi ouvertement son camp. Celui de défenseurs des faibles, des opprimés, des sans voix qui souffrent en silence. En vrai berger, Fridolin Ambongo a décidé de donner de la voix.
Yves KALIKAT / Forum des As
Application de CComment' target='_blank'>CComment