Le 16 décembre 2022, Théophile Ntirutwa, opposant politique rwandais, ancien membre du parti Dalfa-Umurinzi de Victoire Ingabire a été condamné à 7 ans de prison par la Haute Cour, Chambre détachée de Rwamagana au motif qu’il aurait répandu « des informations fausses ou des propagandes nuisibles avec l’intention de provoquer une opinion internationale hostile à l’État rwandais », un crime de lèse majesté au Rwanda, passible de 7 à 10 ans de prison, portés à la perpétuité en temps de guerre.[1] Son crime ? Avoir dénoncé une tentative d’assassinat à son égard sur les ondes de la VOA, quelques minutes seulement après avoir survécu. Ses trois co-accusés, parmi lesquels sa sœur et son voisin ont été acquittés et libérés sur le champ après près de trois ans de détention préventive.
Les faits remontent au 11 mai 2020 entre 19h et 20h, dans le district de Rwamagana au Rwanda. Un groupe de personnes armées d’armes blanches et à feu et dont certaines portaient l’uniforme de la police rwandaise, s’est rendu à l’épicerie de Théophile Ntirutwa à la recherche de ce dernier. A leur arrivée, ils ont demandé où était « Théo » et une autre personne répondant également au prénom abrégé de « Théo » s’est manifestée et a immédiatement été sauvagement rouée de plusieurs coups de couteaux et de marteaux.[2] Il s’agissait du Pasteur Théoneste Bapfakurera, qui décéda sur place de ses blessures.
Une fois les assaillants partis, Théophile Ntirutwa qui s’était entre temps caché derrière le comptoir, a immédiatement alerté des journalistes et raconté à la radio la Voix de l’Amérique (VoA) ce qui venait de se passer :
« Ils ont d’abord forcé mon voisin Frodouard Hakizimana à rentrer dans l’épicerie. Ils ont alors vu le pasteur Théoneste et lui ont soudainement donné des coups de baïonnettes. Je n’ai pas pu reconnaître les assaillants mais certains portaient les tenues de la police rwandaise alors que d’autres étaient en tenue civile. En effet, lorsque je les ai vus venir, je me suis immédiatement glissé derrière le comptoir pour me cacher. Ils sont entrés et ont attaché les bras dans le dos à ceux qui étaient à l’intérieur. En voyant [le pasteur] Théoneste, ils ont cru que c’était moi. Ils l’ont fatalement poignardé. En réalité leur cible c’était moi, surtout qu’avant de venir chez moi ils sont d’abord passés chez ma sœur pour lui demander où je me trouvais. En plus, il y a une moto qui me filait depuis quelques jours. »[3]
Peu de temps après, la police rwandaise, également alertée, est venue sur les lieux et paradoxalement, a embarqué Théophile Ntirutwa, sa sœur Francine Mukantwari , son voisin Frodouard Hakizimana, ainsi que Jean Bosco Rudasingwa, soit l’ensemble des témoins qui étaient sur place, encore sous le choc.
Poursuivi comme supposé auteur de l’attentat auquel il a lui-même survécu
Depuis le 11 mai 2020, les quatre victimes étaient en détention pour les chefs d’accusation de « formation d’une association de malfaiteurs », « assassinat » et « vol à main armée » au motif inique qu’ils auraient été complices des bourreaux qui ont assassiné Théoneste Bapfakurera.
En plus de ces trois infractions, Théophile Ntirutwa, était poursuivi pour avoir prétendument propagé « des informations fausses ou des propagandes nuisibles avec l’intention de provoquer une opinion internationale hostile à l’État rwandais », ainsi que pour « Incitation au soulèvement ou aux troubles de la population ».
Son crime selon le parquet rwandais? Avoir déclaré à Victoire Ingabire ainsi que sur les ondes de la VOA, que parmi les assaillants certains étaient des policiers et des militaires de l’armée rwandaise.
Après près de 3 ans de détention préventive la Haute cour a finalement rendu son verdict et a considéré que les accusations de « formation d’une association de malfaiteurs », « assassinat » et « vol à main armée » n’avaient aucun fondement et a acquitté les quatre victimes sur- le- champ, ordonnant la libération de Francine Mukantwari, Frodouard Hakizimana et Jean Bosco Rudasingwa.
Quant à Théophile Ntirutwa, la Haute Cour l’a acquitté du chef d’« Incitation au soulèvement ou aux troubles de la population ». La Cour l’a cependant condamné à 7 ans de prison au motif que de par son témoignage sur les ondes de la VOA, il aurait violé l’article 194 du Code pénal rwandais, en ce qu’il aurait déclaré « sans aucune preuve », que parmi les assaillants se trouvaient des militaires et des policiers de l’armée rwandaise. Cet article prévoit que «Toute personne qui répand des informations fausses avec l’intention de provoquer la désaffection publique contre l’État rwandais ou lorsque ces informations ou propagandes sont susceptibles de ou censées provoquer la désaffection publique ou une hostilité internationale contre l’État rwandais, commet une infraction» passible de 7 à 10 ans de prison.
Ce n’est pas la première fois que Théophile Ntirutwa est l’objet de graves persécutions. En septembre 2017, après deux années de persécutions politiques marquées notamment par de brefs épisodes de disparitions forcées au cours desquels il subissait différentes formes de tortures tant physiques que psychologiques, Théophile Ntirutwa a été arrêté en compagnie de 10 autres membres du parti FDU Inkingi, dont Boniface Twagirimana, le vice-président.
Le 23 janvier 2020, après deux ans et cinq mois de détention préventive, l’opposant politique avait été acquitté par les tribunaux rwandais et aussitôt libéré en compagnie de cinq autres membres du parti dont Venant Abayisenga porté disparu depuis le 6 juin 2020.
Depuis de nombreuses années, plusieurs autres membres du parti d’opposition d’Umuhoza Victoire subissent de graves formes de persécutions allant jusqu’à l’élimination physique. En septembre 2019, Syldio Dusabumuremyi, le coordinateur national du parti, a été poignardé à mort dans des circonstances qui rappellent l’incident qui a emporté le pasteur Théoneste Bapfakurera
Eugène Ndereyimana, également membre du parti, est porté disparu depuis le 15 juillet 2019. Anselme Mutuyimana, un assistant de Victoire Ingabire, a été retrouvée mort en mars 2019 ; il présentait des marques de strangulation. Boniface Twagirimana, le numéro deux du parti, a disparu de sa cellule de prison dans le sud du Rwanda en octobre 2018, tandis que Jean Damascène HABARUGIRA a été sauvagement assassiné en mai 2017 et Illuminée Iragena a disparu depuis le 26 mars 2016. Aucune suite judicaire n’a jamais été donnée à tous ces cas.
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