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AFRIQUE

L'actualité de la semaine en Afrique

Quelle est la vraie nature du régime rwandais ? Pourquoi l'élimination physique d'un certain nombre de dissidents à l'étranger ne fait pas scandale ? Dans Rwanda, assassins sans frontières, publié aux éditions Max Milo, l'autrice et journaliste britannique Michela Wrong, qui a travaillé à Reuters et à la BBC, vient de publier en français un portrait sans complaisance du président Paul Kagame. Après la récente libération du héros du film Hôtel Rwanda en mars 2023, Paul Rusesabagina, elle dévoile un aspect méconnu du régime de Kigali.

RFI : Michela Wrong, dans ce voyage à l’intérieur du Front patriotique rwandais (FPR), vous enquêtez sur tous les dissidents qui ont été assassinés à l’étranger : Seth Sendashonga au Kenya en mai 1998, Patrick Karegeya en Afrique du Sud en janvier 2014. Pourquoi faites-vous la comparaison avec l’assassinat de Trotski sur ordre de Staline (en août 1940 à Mexico) ?

Michela Wrong : Effectivement, mon livre parle d’une campagne d’assassinats et d’intimidations des dissidents rwandais à l’étranger. Et beaucoup d’entre eux étaient des anciens copains, des anciens dirigeants du FPR. J’ai fait la comparaison avec Trotski parce que Kagame est un peu comme Staline, il est vraiment obsédé par ce groupe d’anciens dirigeants du FPR qu’il a connus depuis longtemps, depuis son enfance. Ils ont lutté ensemble en Ouganda et après au Rwanda. Et il regarde ces gens vraiment comme des menaces à son régime, parce que ce sont des gens qui le connaissent mieux que tout le monde. Et comme Staline, il a utilisé les amis pour entrer dans l’intimité de ces gens-là. Alors par exemple, [Patrick] Karegeya s’est fait piéger par Apollo [Kiririsi Ismael], c’était un homme d’affaires rwandais que Patrick Karegeya considérait comme un ami. Alors il a été invité dans une chambre d’hôtel par Apollo et, là-bas, il y a eu un escadron de la mort qui lui a sauté dessus, qui l’a étranglé.

Ce qui est frappant dans votre enquête, c’est qu’on apprend que les assassins rwandais du dissident Patrick Karegeya sont parfaitement identifiés par la police sud-africaine, mais que la justice sud-africaine renonce à les poursuivre et à les juger, et qu’elle assume ce renoncement…

Oui, il y a eu une procédure de 5 ans avant que l’assassinat de Patrick Karegeya arrive au tribunal. Et moi, j’étais étonnée, j’étais parmi les très rares journalistes qui se sont présentés au tribunal. Et on a compris plein de choses, il y avait toute une lettre écrite par la police sud-africaine pour expliquer au parquet pourquoi on n’avait pas poursuivi ce cas. Ils [les enquêteurs] disaient clairement que c’était parce qu’on savait qu’il y avait des liens entre l’escadron de la mort et le gouvernement de Kigali. C’était très embarrassant et très gênant, et on a décidé de ne pas poursuivre l’affaire. Ils ont dit cela dans une déclaration qui a été publiée par le parquet sud-africain.

 

Vous montrez bien comment, depuis le génocide des Tutsis en 1994, le président Kagame exploite habilement le sentiment de culpabilité de la communauté internationale pour s’affranchir d’un certain nombre de règles internationales en toute impunité. Mais la libération le 25 mars dernier de l’opposant Paul Rusesabagina, qui a été rendu célèbre par le film Hôtel Rwanda, n’est-ce pas la preuve que quelquefois Paul Kagame doit céder aux pressions internationales, notamment américaines ?

Oui, effectivement. Ce qu’on voit avec Paul Kagame, c’est que c’est quelqu’un qui se montre implacable, un homme dur. Mais c’est aussi un monsieur qui est très sensible, même obsédé par son image, sa réputation à l’étranger. Alors, dès qu’il voit qu’il y a eu un changement dans ses relations avec un allié important -et dans ce cas-là, c’étaient les États-Unis-, il peut changer de politique tout d’un coup. Quand il a vu qu’il y avait même la Maison Blanche, le Département d'État, Hollywood qui soutenaient la famille de Rusesabagina, qui mettaient la pression pour sa libération, il a cédé tout d’un coup. Et je pense que, là, il y a une leçon pour tout le monde parce que, souvent, on n’ose pas critiquer ce gouvernement et on n’impose pas de sanctions sur le gouvernement de Kigali parce qu’on pense que ça va mener nulle part. Mais, effectivement, on voit que la pression, ça marche.

Vous allez jusqu’à écrire que le président Paul Kagame a besoin d’une guerre perpétuelle avec un ennemi bien identifié pour survivre politiquement…

Effectivement, si on regarde l’histoire du FPR, on voit qu’ils n’ont pas seulement bouleversé le gouvernement de Juvénal Habyarimana, le président rwandais [jusqu’en 1994]. Ils ont aussi bouleversé le président Mobutu [Sese Seko] du Zaïre. Après, ils ont fait la guerre à Laurent-Désiré Kabila, le monsieur qu’ils avaient mis en place pour le remplacer. Après, ils se sont même bagarrés avec leurs alliés ougandais de Yoweri Museveni, à Kisangani et ailleurs. On voit vraiment que c’est un régime qui a vraiment un profil militaire. Et oui, Paul Kagame a besoin de cela. Il a besoin de se montrer fort au niveau militaire et aussi de convaincre le monde que lui et sa communauté [tutsi] sont toujours menacés. Alors cela justifie le fait qu’il est un président très répressif, autoritaire, qui ne tolère absolument pas le débat, les critiques ou les gens qui essaient de l’affronter chez lui. Je trouve que c’est vraiment un système très fragile et, pour moi, c’est surréel que tant de pays en Occident considèrent ce monsieur comme un symbole de stabilité. Pour moi, c’est le contraire.

rfi

 

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