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CULTURE

L'actualité culturelle de la semaine en RDC

Le poète Lutumba

  RDC

Simaro qui est un vrai artiste parce qu’il n’ayant fait que son art, sans chercher à se prendre pour un patron, au sens propre, fera ses adieux à la musique à 77 ans, au terme des 57 ans d’une carrière exceptionnellement riche, ponctuée par une respectable régularité.

Nous profitons de cette occasion pour saluer la sortie de la vie musicale de cet artiste monumental. Lutumba, en effet, est un grand, un très grand artiste. Auteur-compositeur exceptionnel, aux talents immenses, à l’aise dans tous les sujets traités, le poète, qui mérite bien cette appellation, a exploité tous les thèmes de la vie. Il a chanté la vie et la mort, la société et l’amour dans toutes ses acceptions.

C’est également un très bon guitariste.

Né le 19 mars 1938. Lutumba débute sa carrière musicale en1958 dans Micra Jazz. Un an plus tard, il est dans Congo Jazz de Gérard Madiata avec lequel il enregistre  » Simarocca « . Parfait exemple de fidélité, il est rentré dans l’OK Jazz depuis le tout début des années 60, et y est resté jusqu’en 1994, lorsqu’il fera ses valises, suite à des ingérences extérieures qui étaient venues perturber la quiétude dans l’orchestre du grand maître Franco. Cette année-là, il fonde le Bana OK.

Simaro est un vrai artiste parce qu’il n’a fait que son art, sans chercher à se prendre pour un patron, au sens propre du terme. On a beau chercher dans toute sa longue et opulente production discographique, on ne trouve aucune trace d’insanité dans ses chansons.

Mais il est de loin plus grand que tous ceux qui se livrent à cette bassesse, peut-être, certainement, par déficit d’éducation. Dans ce registre, il faut classer aussi Reddy Amisi et Kester Emeneya.

Un Artiste

Lutumba Simaro est plus qu’un simple musicien. Il est aussi, en effet, un poète -ce n’est pas seulement un surnom- un écrivain oral, un penseur, un sociologue, un philosophe et, pour couronner le tout, un sage. En cela, il est un artiste avec un grand A.

Poète, Lutumba l’est. Plusieurs de ses chansons, comme Ebale ya Zaïre, sont des véritables poèmes. Il suffit de leur donner une forme écrite pour que l’auteur ait sa place au sein de l’organisation des poètes africains.

Simaro est un écrivain. Contrairement à la plupart des musiciens dont les chansons, aussi dansantes et populaires soient-elles, ne peuvent pas revêtir une autre forme, les œuvres de Lutumba  sont chacune une petite brochure pleine de sagesse et d’enseignement. ‘Petite’ ici fait allusion à l’espace car une chanson est soumise à la restriction de l’espace.

Penseur, Lutumba l’est à n’en point douter. Car à travers ses profondes réflexions, il a su apporter un plus à la communauté des savants. Les nombreux thèmes qu’il a exploités, les idées qu’il a émises servent et serviront encore longtemps à plusieurs travaux artistiques et scientifiques.

Lutumba est un philosophe. Beaucoup de ses chansons sont des œuvres philosophiques à part entière. Il suffit qu’on leur donne une forme écrite. Ce sont des réflexions qui peuvent accaparer pendant beaucoup de temps des cercles philosophiques et inspirer des ouvrages philosophiques.

Réputé pour sa sagesse, Lutumba est l’un des rares musiciens congolais à n’être pas tombés dans le piège de la ‘polémique’. Il ne parle pas de ses collègues en mal. Il les respecte tous, quel que soit leur âge, les plus récents pouvant être ses petits-enfants. Et cela inspire à ceux-ci un profond respect, denrée plutôt rare dans cet univers, pour lui.

Cependant, sa quiétude légendaire a été un moment ébranlée lorsqu’un musicien, qu’il avait sorti de l’anonymat pour en faire une vedette incontestable, raconta des inepties à son égard.

Loin de verser dans la polémique, comme l’aurait fait n’importe quel autre musicien congolais, Lutumba déplora simplement l’ingratitude de l’espèce humaine en chantant justement… Ingratitude. A cette violente diatribe de bas étage, l’artiste préféra répondre artistiquement.

L’œuvre de Lutumba impressionne par sa richesse artistique du fait de l’utilisation des figures de style dont l’auteur est passé maître dans la création, figures qui s’apparentent à une sorte de stylistique.

Dans « Tala melesi bapesa na mbwa « , il dit notamment Nabotama na suki elingaka ngai te, mino nazui na mokili ya Nzambe ata ko eboyi ngai nasala nini : L’homme naît avec ses cheveux mais il lui arrive de devenir chauve. Pourquoi doit-il alors se plaindre s’il perd les dents qu’il n’a acquises que dans le monde ?

Dans  » Cedou », l’homme, fatigué de toujours pardonner à cette femme récidiviste, lui demande d’interroger son propre cœur afin que celui-ci lui révèle le nombre de fois où cet homme lui a accordé son pardon.

Fustigeant le mensonge, l’auteur-compositeur dit dans cette même chanson  » lokuta ekoma laisser-passer  » ; et dans Affaire kitikwala,  » natika lokuta na ngai na ba tailleur, na ba mécanicien, nakaba lokuta na nga na ba escrots na banganga nkisi … ».

Comme dans n’importe quel ouvrage scientifique, Lutumba reprend des citations d’auteurs connus ou inconnus, ainsi que -mais surtout- celles qu’il puise dans la riche tradition africaine, pour ne pas dire congolaise.

Marqué par l’eau

Trois éléments semblent marquer profondément l’univers mental de Lutumba. Ce sont l’eau, la terre et la vie. Tous au féminin, ces éléments inspirent beaucoup l’homme et reviennent dans la plupart de ses chansons, d’une manière ou d’une autre.

L’un des atouts de Simaro est sa capacité à mener des réflexions poussées autour d’un mot au point d’en ressortir les différents aspects avant de l’utiliser poétiquement en lui donnant une dimension autrement élevée, méditative.

La femme n’est pas absente dans l’œuvre de Masiya. Mais l’auteur sort du lot commun en ce fait que, très souvent, presque toujours, en chantant la femme, il ne l’utilise que comme un prétexte pour cogiter plutôt sur un thème sociologique ou un troublant fait de société.

L’espace aquatique prend légèrement le dessus sur les deux autres éléments. Lutumba semble subjugué par l’eau. L’eau qu’on boit et l’eau qui coule.

« Ebale ya Zaïre « , une de ses plus belles chansons, est une exaltation sublime d’un amour pour une femme. Cependant, loin de vanter la beauté de l’être aimé ou de pleurer simplement son départ en voyage, la magie de Lutumba n’utilise cette femme que comme un prétexte pour étaler la beauté, la grandeur et la valeur de l’eau qui coule à travers le fleuve Congo.

Il s’en prend au navire qui lève l’ancre, emportant ainsi loin son amour, et au fleuve, surface qui favorise sa navigation.

Ce fleuve ramène d’autres engins, pirogues et bateaux, alors qu’il emporte -en amont- son amour. L’amoureux jure de rester là, dans une sorte de sit-in, jusqu’à ce que le fleuve ramène le bateau dans lequel se trouve Mbole.

Lutumba affirme, dans  » Maya « , que le fleuve -mais aussi la mer, l’océan- inspire plus d’horreur que le cimetière.

Dans  » Pablo « , l’auteur évoque encore le fleuve à travers cette femme qui plaint son défunt frère d’avoir choisi le fleuve Congo comme dernière demeure. L’homme de « Verre cassé » redoute le vent impétueux et vespéral du fleuve de lui apporter une nouvelle dramatique concernant son ex-amie aujourd’hui en détresse.

Dans  « Monama » , que chante la regrettée Mpongo Love, Lutumba compare, dans une métaphore, un amour perdu à un pagne emporté par les eaux du fleuve. Dans  « Mabele » , cette chanson qui est généralement considérée comme la plus importante du très riche répertoire de Simaro Masiya, l’auteur traite les deux thèmes, la vie et la terre, de façon égale.

Cette chanson est encadrée, dans ses deux extrémités, par la naissance et la mort. La naissance de l’homme est comparée au lever du jour.

Aussi beau que peut être le lever du soleil, le jour qu’il introduit s’accompagne indéniablement de son lot de problèmes, offrant ainsi aux humains des fortunes diverses : certains sont dans la joie, pendant que d’autres sont accablés par le malheur.

Le bonheur et le malheur ne sont jamais définitifs. Le soir arrive donc et la nuit met un bémol : elle allège pour un temps les souffrances morales et ou matérielles, et assombrit la fête des heureux. Mais que d’enseignements entre le lever et le coucher du soleil !

La fin de la vie de l’homme est consacrée par ce mystère appelé la mort. Celle du jour est marquée par cet autre mystère qu’on appelle la nuit. Il s’agit ici de la nuit naturelle. Non trafiquée par l’introduction de l’électricité. La nuit noire. Naturelle. Car la mort est également un élément naturel.

Les deux fins inspirent la frayeur. La peur de l’inconnu. De ce qu’il y a devant et qu’on ne voit pas. Qu’on ne peut pas voir. Ceux qui se retrouvent dans cet élément, la nuit, sont ceux qui travaillent pour la mort : les ndoki (sorciers) et les nganga (féticheurs).

C’est là le sens de la pensée profonde de Lutumba lorsqu’il affirme que la nuit est, en fait, le jour des sorciers et des féticheurs. Lutumba Simaro Masiya restera à jamais un artiste éternel.

Jean-Claude Ntuala/L’Observateur


 

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