GRÂCE. La libération des personnalités condamnées pour cet assassinat constituait jusque-là une ligne rouge entre l'actuel président et son prédécesseur Joseph Kabila.
Condamnés à mort en janvier 2003 (la peine a été commuée depuis en réclusion à perpétuité) à l'issue d'un procès à huis clos devant un tribunal militaire, les détenus de la prison de Makala jugés coupables de l'assassinat, en 2001, du président Laurent-Désiré Kabila étaient jusque-là une épine dans le pied de Félix Tshisekedi. Après que le chef de l'État a mis fin, le 6 décembre, à la coalition qu'il formait avec le camp de son prédécesseur et fils du défunt président, Joseph Kabila, il a tranché et leur a accordé une grâce présidentielle le 31 décembre. Il faut savoir que ces hommes, qui ont toujours clamé leur innocence, étaient considérés comme des prisonniers politiques par plusieurs ONG, dont la Fondation Bill-Clinton.
« Il se trouve qu'Eddy Kapend et certains de ses coaccusés bénéficient de la grâce présidentielle du 31 décembre 2020 qui est une mesure d'une portée générale avec un caractère impersonnel », a déclaré à l'AFP Giscard Kusema, directeur adjoint de la presse présidentielle. « Le processus a commencé le 30 juin 2020. Le président de la République a décidé de commuer la condamnation à mort en prison à vie », a-t-il expliqué. « Le 31 décembre 2020, le chef de l'État a commué la prison à vie à vingt ans de prison. Or, l'ordonnance présidentielle précise que les personnes condamnées à vingt ans de prison et ayant purgé leur peine au 31 décembre 2020 doivent être libérées », a-t-il ajouté. « Eddy Kapend et certains de son groupe sont donc concernés. »
Des hommes « à bout »
Cris ou larmes de joie, pas de danse : plus d'une centaine de personnes ont pris d'assaut l'enceinte de la prison de Makala à Kinshasa, en République démocratique du Congo, pour saluer la libération du colonel Eddy Kapend, l'un des principaux condamnés pour l'assassinat du président Laurent-Désiré Kabila. Décontracté et serein, coiffé de son képi de militaire, Eddy Kapend a été escorté par les forces de sécurité congolaises et une armée de motos-taxis jusqu'à sa résidence, où il a pris un bain de foule en milieu d'après-midi. « Ça y est, il est là, il est libre, papa est là », criait-on à tue-tête tandis que le colonel saluait la foule depuis un balcon, arborant un léger sourire avant de s'éclipser dans la maison. Des danseurs folkloriques ornés de raphia et de plumes haranguaient la foule qui s'est formée pour la circonstance. « Les mots ne peuvent vraiment pas exprimer ce que je ressens, je n'arrive pas à croire que c'est réel, qu'il est là au salon », a déclaré à l'AFP Cathy Kapend, sa fille de 23 ans, émue. Cette expérience a été « dure pour nous et pour notre maman ». Sans trop penser à comment il pouvait sortir de la prison, « j'avais la foi, je ne l'imaginais pas mourir en prison », a ajouté cette étudiante de droit qui n'était qu'une enfant lors de l'arrestation de son père en 2001.
Eddy Kapend, âgé de 61 ans, et 21 autres militaires ont auparavant participé à une cérémonie officielle organisée dans l'enceinte de la prison vendredi pour marquer leur libération. Débarrassés de leur tenue de prisonnier, les 22 hommes sont sortis de Makala, la grande prison de Kinshasa, accueillis par leurs proches, parfois en larmes. Un 23e homme, un civil, Georges Leta, ancien chef de l'Agence nationale des renseignements (ANR), est également sorti de prison, mais n'a pas assisté à la cérémonie en raison d'une maladie.
Une ligne rouge pour Joseph Kabila
Acteur central des deux guerres du Congo (1996-1998 et 1998-2003), Laurent-Désiré Kabila, tombeur du dictateur Joseph-Désiré Mobutu (1965-1997), a été assassiné le 16 janvier 2001 dans son bureau par l'un de ses gardes du corps, lui-même tué par le colonel Eddy Kapend – alors aide de camp du chef de l'État immédiatement après qu'il a tiré sur le président. « Le président a accordé cette grâce pour des raisons purement humanitaires. […] Cette grâce n'est pas un chèque en blanc », a déclaré Bernard Takaishe, vice-ministre de la Justice, s'adressant aux 22 bénéficiaires présents. « Il ne faut pas que demain vous puissiez vous retrouver dans les situations qui ont fait que vous soyez privés de liberté », a-t-il ajouté. « La grâce ne va pas effacer les crimes pour lesquels vous avez été condamnés. » Une telle mesure a été prise « tout simplement parce qu'on veut remettre le pays sur les rails, apporter une certaine quiétude aux Congolais », a-t-il insisté.
Interrogés à leur sortie de prison, certains bénéficiaires ont plaidé pour la réouverture du procès. « Mon vœu, c'est de voir la réouverture de ce procès pour être lavé. Je suis un ressuscité, je le dis avec les larmes aux yeux », a déclaré Césaire Muzima, âgé de 54 ans, qui clame son innocence. « J'ai été condamné à mort pour trahison. J'ai trahi qui ? » s'est-il interrogé en disant être « à la disposition de la nation ».
Malgré l'insistance de l'AFP, personne dans l'entourage de l'ex-président Joseph Kabila, fils du défunt président Laurent-Désiré Kabila, n'a voulu commenter dans l'immédiat ces libérations.
Le Point
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