L'Ouganda vit des heures graves à quelques jours de l'élection présidentielle, où le sortant Yoweri Museveni doit faire face à quelque dix opposants, et surtout veut garder le pouvoir coûte que coûte. Dans les rues de Kampala, de nouveaux posters égrènent chaque jour le compte à rebours séparant le pays de la réélection annoncée le 14 janvier du président Museveni, 76 ans, qui arbore un sourire discret et l'un de ses éternels chapeaux à large bord. « Nous sommes certains de la victoire » le 14 janvier, a déclaré en janvier l'ex-guérillero. Ses dix adversaires de l'opposition ne peuvent pas en dire autant, eux qui ont accusé M. Museveni et son parti, le Mouvement de la résistance nationale (NRM), d'avoir totalement faussé la compétition électorale en recourant à la violence et en instrumentalisant les mesures de prévention contre l'épidémie de coronavirus. Le principal rival du président, Bobi Wine, un populaire chanteur de ragga devenu député en 2017, a troqué pendant la campagne ses costumes ajustés et son distinctif béret rouge pour un gilet pare-balles et un casque lourd.
L'opposition est violentée
La journée du dépôt officiel des candidatures par les 11 candidats, le 3 novembre, a donné le ton des huit semaines suivantes : M. Wine y avait été arrêté dans la plus grande confusion, entraînant des échauffourées entre ses partisans et les forces de sécurité. Patrick Amuriat, candidat du Forum pour le changement démocratique (FDC), parti de l'ancien opposant historique à M. Museveni, Kizza Besigye, avait, lui, perdu une chaussure dans une empoignade avec les policiers alors qu'il venait déposer sa candidature. Il s'adresse désormais pieds nus à ses partisans dans un geste symbolique de défi. Depuis, M. Wine, 38 ans, a été arrêté à de nombreuses reprises alors que les forces de l'ordre dispersaient ses meetings à coups de gaz lacrymogènes et de Flash-Ball. Une de ses arrestations s'est soldée par un bain de sang le 18 novembre : les forces de sécurité, confrontées à la colère des partisans du député-chanteur, avaient fait usage de tirs à balles réelles et abattu 54 personnes en une journée.
Bobi Wine, le cœur de cible
« Tous mes adjoints et assistants ont été la cible de tirs », a récemment assuré à l'AFP Bobi Wine, de son vrai nom Robert Kyagulanyi. Vendredi, M. Wine a qualifié d'« abus de droit » la détention prolongée de plusieurs dizaines de membres de son équipe de campagne. « Mais, comme je l'ai déjà dit, l'Ouganda n'est pas gouverné conformément à la loi. » Fin décembre, une centaine de membres de son équipe avaient été interpellés tandis que l'ex-popstar avait été raccompagnée à son domicile de Kampala dans un hélicoptère de l'armée pour l'empêcher de tenir un rassemblement prévu à 100 km de la capitale.
Le rideau de fumée de la « campagne scientifique »
La commission électorale ougandaise a imposé des règles spécifiques pour enrayer l'épidémie de nouveau coronavirus : le pays a enregistré plus de 35 000 cas et la propagation du virus s'est accélérée ces dernières semaines. La campagne électorale devait donc être « scientifique », selon la commission, et se tenir sans les grands rassemblements traditionnels. Mais l'opposition a vite dénoncé le fait que ces règles ne s'appliquaient pas au candidat-président.
« Nous avons observé que les restrictions dues au Covid-19 avaient progressivement été mises en œuvre de façon plus stricte pour réduire les activités de la campagne électorale de l'opposition d'une façon discriminatoire », a relevé vendredi la porte-parole du Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de l'homme, Ravina Shamdasani. Au nom de la lutte contre le virus, la campagne a été suspendue à Kampala, un fief de l'opposition, tandis que M. Museveni a bénéficié d'une grande visibilité, multipliant déplacements officiels et inaugurations, largement relayés par les médias publics. En décembre, les autorités ont même invoqué la sécurité nationale pour demander à Google de bloquer la chaîne YouTube Ghetto TV de Bobi Wine, un de ses principaux outils de communication. Jeudi, M. Wine a confirmé à l'AFP qu'il avait décidé d'envoyer aux États-Unis ses quatre enfants et sa belle-sœur, pour leur sécurité.
Le Point
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