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AFRIQUE

L'actualité de la semaine en Afrique

Les rebelles du Fact progressant en territoire tchadien, Idriss Déby Itno a décidé de monter au front, le 17 avril 2021, contre l’avis de ses proches et de sa famille. Il s’est rendu à Mao, bivouaque et rejoint la ligne de front. Quelles sont les circonstances de son décès ? Un an après la mort du maréchal du Tchad, RFI a reconstitué le fil des événements grâce aux confidences d’acteurs et de témoins. Dans ce second volet, nous revenons sur les silences et les zones d’ombre qui entourent les dernières heures de sa vie. 

 

« Cela peut paraître insensé, incroyable qu’un chef d’État, à notre époque, meure au front. Pourtant, c’est bien la simple vérité. » Dans le canapé noir d’un bureau rénové à l’occasion de la transition, un ancien conseiller d’Idriss Déby, quarante années de politique tchadienne au compteur, évacue d’emblée toute « théorie alternative ». Comme de nombreux dignitaires rencontrés récemment à Ndjamena, il ne croit pas à toute autre thèse que l’officielle. « Mourir au combat, c’est d’ailleurs ce que Déby aurait voulu, il le répétait assez souvent à ses interlocuteurs », renchérit un membre du Conseil militaire de transition, qui y voit une forme de « mektoub », de fatalité du destin : « Celui qui est mort est mort, et nous sommes tous entre les mains de Dieu. » Peut-être pour des raisons religieuses et culturelles, personne ne semble vouloir réveiller le mort, connaître très exactement la manière dont il a succombé à ses blessures sur un champ de bataille dans le Kanem. La recherche de détails se heurte souvent à des haussements d’épaules. « On entend tout et n’importe quoi mais il est mort en soldat, point. Le reste, c’est du tapage », s’agace le porte-parole de l’armée, le général Azem Bermandoa. « Nous savons ce qui doit être su », abonde un conseiller actuellement à la présidence.

Tous balaient la théorie alternative d’un complot contre le chef de l’État, ou d’un règlement de comptes au sein du clan. Cette théorie a surgi très vite et s’est appuyée notamment sur le fait qu’à notre connaissance, aucune autopsie du défunt n’a été pratiquée. On ne sait pas non plus avec certitude qui a pu voir le corps du défunt, à l’exception du président de la Cour suprême, Samir Adam Annour, chargé de constater la vacance du pouvoir, et qui n’a pas donné suite à nos sollicitations.

Le manque de transparence des officiels, les trous dans leur récit, tout cela est accueilli avec circonspection hors des cercles du pouvoir. « Même quand on demande des précisions sur les circonstances de sa mort à ceux qui étaient sur place, personne n’a de réponse précise. lls disent : "On l’a trouvé blessé, il est mort". Et c’est tout. C’est étrange », souligne un ancien membre de l’appareil sécuritaire. Chacun, des leaders politiques de l’opposition au Tchadien lambda, assure ne pas croire à la parole officielle « sans aucune crédibilité », se demande « à qui profite le crime », tout en n’ayant aucun élément permettant d’accréditer une autre version. « Les gens sont convaincus que c’est faux, mais il se dit tellement de choses, on ne sait qui croire », synthétise Me Max Loalngar, le porte-parole de Wakit Tama (coalition d’opposition regroupant syndicats, partis et organisations de la société civile, créée pour dénoncer le sixième mandat d’Idriss Déby). À l’instar des opposants Succès Masra ou Yaya Dillo, il demande toujours une « enquête réellement indépendante ». Comme l’avait fait l’an dernier l’Union africaine. Dans son communiqué du 14 mai 2021, le Conseil paix et sécurité de l'UA avait demandé expressément aux autorités « d'accélérer l'enquête officielle sur l'assassinat brutal de l'ancien président », mais sa requête est donc restée sans suite.

 

« À moins que son dentiste lui ait collé une puce sous la molaire, il est impossible qu’on ait monté un complot contre lui »

Que répond le pouvoir ? Sur le plan formel, le gouvernement promet que l’enquête va progresser, mais que « le temps de la justice est le temps long ». Selon nos informations, les magistrats ont mis des pièces sous scellés, y compris le véhicule dans lequel se serait trouvé Idriss Déby au moment du combat. Pourquoi n'y a t’il pas eu d’autopsie ? « Une autopsie est nécessaire quand on ne sait pas pour quelles raisons la personne est morte. Mais Idriss Déby, on sait : il a été tué au combat au milieu de ses troupes », tranche un membre du gouvernement. Sur le fond, un dirigeant politique de premier plan argumente : « Si quelqu’un l’avait tué, il aurait à son tour été tué, il y aurait eu règlement de comptes, ça n’aurait pas pu être étouffé. » « À moins que son dentiste lui ait collé une puce sous la molaire », plaisante un ministre de premier plan, « il est impossible qu’on ait monté un complot contre lui, pour la simple et bonne raison que les seuls qui étaient au courant de son déplacement étaient juste à côté de lui. Il est parti en coup de vent. Moi, je crois qu’on fait traîner l’enquête parce qu’on ne veut pas fâcher les personnes qui ont permis au Fact d’avoir un armement sophistiqué, à commencer par les Libyens et les Russes », conclut-il.

Quand Idriss Déby est-il mort exactement ? Depuis le premier jour, la question de la date fait débat. Selon la version officielle, c’est le lundi 19 à l’aube qu’il aurait été touché, avant de succomber plus tard à ses blessures. Une version qu’a soutenue son fils, le chef de la transition, Mahamat Idriss Déby, à Jeune Afrique, fin juin 2021. Il y précise avoir appris le décès en fin de journée après avoir été rappelé à la capitale. Auparavant, la même publication avait affirmé que c’est la veille au soir que le combat fatidique avait eu lieu.

Le cercueil du président tchadien Idriss Déby Itno lors de ses funérailles à Ndjamena, le 23 avril 2021.
Le cercueil du président tchadien Idriss Déby Itno lors de ses funérailles à Ndjamena, le 23 avril 2021. AFP - ISSOUF SANOGO

Dans la bouche des membres de l’appareil d’État tchadien, civils et militaires, rencontrés par nos soins l’an dernier et plus récemment à Doha (où se déroule le pré-dialogue tchadien avec les groupes politico-militaires) et à Ndjamena, les deux versions s’entremêlent. Des membres du CMT s’attachent à la date du lundi 19 avril. Pourtant, des ministres et des proches de l’ancien président confessent que les événements ayant abouti au décès du président ont eu lieu le dimanche soir. C’est aussi ce qu’affirment des membres influents de la communauté zaghawa, celle de la famille Déby, sur la base des témoignages de personnes présentes sur place, la garde présidentielle étant une unité quasi réservée aux membres de ce clan. Des témoignages certes indirects, mais qui en recoupent d’autres relayés auprès de nous par des personnalités de premier plan du régime, dès la fin avril 2021. 

Pourquoi cette confusion ? « Il faut se mettre à leur place. C’était la guerre », avance un ancien rebelle, « il fallait peut-être rester discret dans un premier temps, préserver le moral des troupes ». La preuve : « Même Mahamat n’a pas été informé tout de suite, et a continué à combattre alors que son père avait été touché », précise un haut responsable de l’appareil sécuritaire. « Il n’est pas anormal de prendre 24 ou 48h le temps de gérer la situation », ajoute cette source.

Dans le vacarme et la poussière, Idriss Déby est touché

Retour au samedi 17 avril. Le gros des troupes tchadiennes rattrape près du lieu-dit de Zigueï, à 200 kilomètres au nord-est de Mao, une colonne rebelle. Ces 2 000 hommes environ sont sous le commandement de Mahamat Idriss Déby, patron de la garde présidentielle, et du chef d’état-major, le général Daoud. La colonne rebelle essuie le feu nourri des loyalistes. Le Fact parle d’un « enlisement dans des sables mouvants » d’une soixantaine de ses véhicules, qui les aurait isolés.

Le contact perdu, l’avant-garde aurait poursuivi sa route tandis que le reste des combattants était « traité », selon le terme employé par un membre des renseignements, par l’armée tchadienne, menée par Mahamat Idriss Déby et le chef d'état-major, le général Daoud. Comprendre : pilonné et contraint au repli, jusqu’au dimanche, où les combats reprennent et s'étendent jusqu’au lundi.

Forts d’armes récupérées en Libye au cours de « services rendus » au maréchal Haftar (notamment des canons antiaériens et antichars DCA 23 millimètres, mortiers de 120 millimètres, mitrailleuses de 14,5 millimètres, selon un inventaire donné a posteriori par l’armée tchadienne), les rebelles ouvrent le feu à une distance de plusieurs kilomètres sur ce détachement, touchent des véhicules à l’avant du convoi, le contraignent à s’arrêter pour riposter. L’échange de tirs est intense et, dans le vacarme et la poussière, l’impensable se produit donc. Idriss Déby est touché. 

Alors chef de la force française Barkhane à Ndjamena, le général Marc Conryut se souvient aujourd’hui : « J’ai été prévenu de son décès par des membres de l'état-major tchadien. Tout le monde savait qu’il était monté au front, et la plupart des grands chefs tchadiens avec lui. Quand des combats d’une extrême violence se sont engagés pour plusieurs heures le dimanche 18 avril, il a peut-être senti que ses troupes étaient en difficulté, et qu’il fallait repartir de l’avant pour imprimer sa volonté à l’adversaire. C'est ce qu’il a fait, et il a probablement à ce moment-là été repéré et ciblé. »

Carte de l'offensive du Fact en avril 2022.
Carte de l'offensive du Fact en avril 2022. © RFI

Du côté du Fact, on évoque pour la première fois publiquement le sujet le lundi 19 avril en fin d’après-midi. Dans un communiqué, le mouvement donne une liste de quinze officiers ennemis tués ou blessés dans les combats du week-end. Parmi eux, en neuvième position et avec le dernier grade que lui reconnaissent les rebelles, le « colonel Idriss Déby Itno, blessé et en fuite ». Une déclaration survenue une vingtaine d’heures avant l’annonce officielle de la disparition du « maréchal ». 

Mahamat Mahdi Ali, chef du Fact.
Mahamat Mahdi Ali, chef du Fact. © Mahamat Mahdi Ali

Aujourd’hui néanmoins, le Fact nuance, estime « qu’il ne s’agissait pas d’une revendication ». « Dans cette histoire, c’est parole contre parole, se défend un des cadres du mouvement. On nous dit que Déby est mort au combat, mais on ne nous montre rien. Et il n’y a pas eu d’autopsie. En vrai, on a appris sa mort comme tout le monde à la télévision. » 

Les rebelles du Fact soutiennent que « si le chef de l’État est mort au combat, alors cela s’est produit le lundi 19 au matin » lors d’une contre-offensive menée par le mouvement, contre-offensive finalement repoussée. C’est ce qu’explique aujourd’hui son chef, Mahamat Mahdi Ali : « Des combats intenses reprennent le lundi matin, à notre initiative, pour reprendre un puits stratégique, le puits d’Arian. C’est à ce moment-là qu’une colonne de secours de l’armée tchadienne [celle dans laquelle se serait trouvé Idriss Déby] tente de nous prendre à revers par le nord. Elle se heurte à notre arrière-garde. »

Des soldats rebelles du Fact faits prisonniers par l'armée tchadienne à Ndjamena, le 9 mai 2021.
Des soldats rebelles du Fact faits prisonniers par l'armée tchadienne à Ndjamena, le 9 mai 2021. AFP - DJIMET WICHE

Comment Idriss Déby est-il mort ? Aujourd’hui encore, les différents acteurs ne servent pas la même version. Certains affirment que le chef de l’État était dans un véhicule qui n’était pas le sien, que le blindage était plus léger, et que des balles de gros calibre ont pu le traverser. « Moi, ce qu’on m’a dit, c’est qu’il a été touché par balles, et j’ai tendance à le croire », se remémore l’ex-chef de Barkhane, le général Marc Conruyt.

D’autres, en revanche, assurent qu’il a été touché par les éclats d’une explosion, alors qu’il se trouvait près de son véhicule. La mort à ses côtés de son chauffeur et de deux gardes du corps, confirmée par plusieurs interlocuteurs hauts placés, ainsi qu’un grand nombre de blessés, accrédite la piste d’un projectile explosif, type roquette ou obus de mortier. C’est par ces éclats l’ayant touché au torse et à l’abdomen que serait mort Idriss Déby, affirme un membre haut placé de la communauté zaghawa. « Il y a eu un défaut de protection autour du président, c’est une défaillance militaire », constate pour sa part un responsable politique français de premier plan.

« Le Fact se mord les doigts d’avoir revendiqué sa mort »

Le Fact savait-il qu’il avait frappé le maréchal ? Son chef, Mahamat Mahdi Ali, assure avoir compris la présence d’une personnalité haut placée en observant la panique régnant dans le camp d’en face. Selon lui, le lundi entre 9h et 10h, un hélicoptère de l’armée tchadienne se pose « quatre dunes plus loin ». « On est plutôt surpris, on se demande ce que vient faire cet hélicoptère, car ils servent d’habitude à nous bombarder et ne se posent jamais sur le théâtre des opérations en plein combat », se rappelle-t-il. C’est à ce moment-là, selon lui, qu’il prend conscience qu’une personnalité de premier plan a été touchée. Il assure néanmoins que, de leurs positions, les rebelles ne peuvent voir ce qu’il se passe exactement, car « ils ont atterri dans une vallée à l'abri des regards ».

Un autre élément, révélé aujourd’hui par Mahamat Mahdi Ali, lui fait prendre conscience que la présence au front du chef de l’État est plausible. Lorsque ses hommes libèrent des prisonniers ce lundi, certains rapportent une conversation téléphonique qu’un officier tchadien aurait eu avec le président. Ce commandant aurait en substance dit à Idriss Déby que les soldats « ne voulaient plus se battre », et que sa présence leur « remonterait le moral ». « C’est ainsi que nous avons appris qu’il était là », conclut le chef du Fact. Après coup, donc.

À Ndjamena, un an après, les explications du Fact laissent perplexe. « Qui a donné l’emplacement ? », s’interroge un des principaux opposants à la famille Déby. « Mahdi ne pouvait pas ignorer que le président était au front. Il est dans un milieu où la population lui est acquise et parle », ajoute un haut responsable sécuritaire. « Le maréchal ne s’est pas caché qu’il partait au combat, donc sa venue était probablement connue. Et à partir du moment où le chef est sur le champ de bataille, il devient forcément un objectif pour démobiliser les troupes », analyse le général français Marc Conryut.

« Le Fact se mord les doigts d’avoir revendiqué sa mort », estime de son côté le chef d’un autre groupe rebelle. « Ils ont sauté sur l’occasion. Maintenant, ils essaient de rétropédaler en disant qu’ils ne savaient pas qu’il était là. » Pour Mahdi Ali, le prix du sang de cet assassinat est lourd de conséquences, surtout s'il souhaite rentrer un jour dans son pays.

 

Côté français, on assure aussi que c’est la surprise qui domine : « Au moment de la mort du président, dit un haut gradé, on n’est pas sur zone, on n’a pas de visuel. Il faut arrêter de fantasmer sur le renseignement technologique. Je ne suis même pas sûr qu’on sache qu’il est là à ce moment, car c’est quelqu’un qui est habitué à faire ce qu’il veut et à surprendre. »

Ces événements éclipsent l’issue de la bataille : les forces régulières défont celles du Fact. La semaine suivante, elles harcèleront les rebelles jusqu’à les contraindre à la fuite vers la Libye, en passant par le Niger. « C’était une victoire, une grande victoire, disait en novembre dernier Mahamat Idriss Déby sur France 24, mais une victoire amère, puisqu’à la fin des combats, comme nous étions dans différentes colonnes, nous avons appris dans un premier temps que le président a été blessé au combat et évacué à Ndjamena. »

Certains attribuent à la légende du défunt un dernier souffle tragique lors duquel il aurait confessé : « Cette fois, c’est fini ». Mais c’est bien inconscient que le chef de l’État est emmené vers l’arrière, placé sous une tente, puis évacué par hélicoptère sous la supervision du général Daoud. Le chef d’état-major, première personne prévenue, n’a « jamais semblé paniquer », selon le général Conryut. Idriss Déby succombera des suites de ses blessures avant son arrivée au « palais rose » de Ndjamena, confirment nos interlocuteurs. Idriss Déby quitte la scène sur une dernière victoire militaire.

 

RFI

 

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