Deux ans après son lancement, le processus de Luanda, censé permettre de résoudre le conflit qui oppose la RDC et le Rwanda dans l’est de la RDC a connu quelques avancées. Mais en coulisses, ils sont de plus en plus nombreux, chercheurs, observateurs ou diplomates à en pointer les limites.
Ces derniers semaines, João Lourenço a mis les bouchées doubles. Fin novembre, le président angolais a déjà engrangé une petite victoire : au terme d’âpres négociations, les ministres des Affaires étrangères rwandais et congolais ont approuvé un « plan harmonisé » rédigé par leurs experts en sécurité, censé définir les contours d’une sortie de crise. D’un côté, des opérations militaires pour « neutraliser » les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR, un groupe armé présent en RDC et créé par d’anciens responsables du génocide des Tutsis) ; de l’autre, le Rwanda mettrait fin à ce qu’il appelle « ses mesures défensives » dans l’est du Congo.
Mais Luanda le sait : pour que ce plan se concrétise, il faut un engagement politique au plus haut niveau. C’est tout l’enjeu du sommet que la présidence angolaise a annoncé pour le 15 décembre... Un sommet qui doit réunir les présidents Félix Tshisekedi et Paul Kagame. Son espoir : un accord, et une poignée de main entre les deux chefs d’État.
João Lourenço connait la méfiance qui continue de régner et l’imprévisibilité de ses interlocuteurs. Le cessez-le-feu conclu fin août a stabilisé la ligne de front mais n’empêche pas que les affrontements sur le terrain se poursuivent. D'intenses combats opposent depuis quatre jours la rébellion du M23, soutenue par le Rwanda, aux forces de Kinshasa dans plusieurs territoires de l'est de la RDC. Mais le président angolais souhaite engranger une victoire diplomatique avant de prendre la tête de l’Union africaine en janvier.
L’absence d’acteurs importants à Luanda
En coulisses, de plus en plus d’observateurs expriment pourtant des doutes sur l’efficacité de ce processus.
Parmi les critiques qui reviennent : l’absence d’acteurs régionaux importants dans les discussions. À commencer par les voisins, l’Ouganda et le Burundi, également acteurs du conflit.
Plusieurs milliers de soldats burundais sont engagés sur le terrain. Ils combattent tantôt seuls, tantôt aux côtés des forces congolaises. De source militaire, ils ont joué un rôle important pour freiner l’expansion du M23 vers la province du Sud-Kivu.
Par le soutien militaire qu’il apporte, le Burundi conforte le président Tshisekedi dans son choix de la voie militaire, malgré ses déboires sur le terrain. Au détriment de l’option du dialogue préconisée par le processus angolais.
Mais ce n’est pas tout. Selon les experts de l’ONU, les troupes rwandaises présentes en RDC « ont reçu pour instruction de cibler les troupes de la FDNB [armée burundaise, NDLR] sur le champ de bataille. Certains soldats burundais ont même été capturés et faits prisonniers par le M23 et leurs alliés ».
Autrement dit, la tension qui ne cesse de croître entre les présidents du Rwanda et du Burundi a des répercussions sur le conflit dans l’est de la RDC. Et inversement, selon l’ONU, « la participation de la Force de défense nationale du Burundi (FDNB) aux opérations contre le M23 et la RDF [Rwanda Defence Force, NDLR] a exacerbé les tensions entre le Rwanda et le Burundi ».
« En se rangeant du côté de Kinshasa, les autorités burundaises ont rendu la situation encore plus complexe. Ils exacerbent les tensions et règlent leurs propres comptes sur le terrain », estime le chercheur à l’International Crisis Group Onesphore Sematumba. Mais « cela reste cantonné aux discussions entre diplomates. Tout le monde semble détourner les yeux sur cette réalité », déplore-t-il.
Le président burundais Evariste Ndayishimiye serait par ailleurs vexé de ne pas être partie prenante du processus de Luanda. « Le risque, en ne l’associant pas à la médiation, est de le pousser à jouer les spoilers », déplore une source diplomatique. Autrement dit, entraver le processus de résolution du conflit.
Le président ougandais n’apprécie guère, lui non plus, d’être tenu à l’écart de la médiation. À 80 ans, Yoweri Museveni, le « Mzee » (ancien en swahili) aime à cultiver son image de « sage » régional. Il se serait bien vu conduire un dialogue entre la RDC et le M23. Et, ce, alors que dans leur dernier rapport, les experts de l’ONU accusent Kampala d’avoir apporté un soutien, au moins passif, aux rebelles M23, ce que l’Ouganda nie.
« Si l’Ouganda était autour de la table, cela l’obligerait à choisir ouvertement un camp. Et ce serait risqué. Mais je conviens qu'ils pourraient jouer un rôle plus constructif en faisant pression pour le dialogue », nuance un diplomate.
Enfin, « il ne faut pas oublier que la guerre du M23 a été relancée à cause d’un accord militaro-économique passé entre Kampala et Kinshasa, perçu à Kigali comme une menace sur ses propres intérêts », rappelle le chercheur Onesphore Sematumba. Selon cet accord, conclu en 2021, Kinshasa a confié à l’Ouganda la construction de plusieurs routes commerciales, et autorisé la présence de l’armée ougandaise pour combattre les rebelles ADF, Forces démocratiques alliées, un groupe rebelle d’origine ougandaise et affilié à l’État islamique. « Cela a poussé Kigali à réactiver le M23 », poursuit le chercheur.
Le pillage des ressources de la RDC, angle mort du processus de Luanda
La seconde critique qui revient sur le processus de Luanda découle de la première : faire l’impasse sur un aspect important du conflit : sa dimension économique.
À Luanda, la discussion se cristallise autour d’une équation : neutralisation des FDLR d’un côté, retrait des forces rwandaises de l’autre. Analystes, chercheurs et diplomates s’accordent pourtant sur le fait que la volonté des voisins de la RDC de sécuriser leurs corridors commerciaux avec l’est du pays, et leur accès à ses ressources minières, est un des combustibles du conflit.
« Le processus de Luanda a le mérite de créer une dynamique positive de dialogue entre deux des protagonistes de la crise. Il ne peut malheureusement pas déboucher sur une solution durable car il est muet sur le facteur le plus structurant du conflit, à savoir l’économie illégale qui permet à tous les acteurs de s’enrichir », explique Zobel Behalal, expert crime transnational organisé au sein de Global Initiative. « Tant que nous ne regarderons pas en face le fait que Kigali et Kampala externalisent leur développement économique dans l’est de la RDC, il sera difficile de résoudre durablement cette crise », reconnait une source diplomatique.
Fin septembre, la cheffe de la Mission de l'Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco), Bintou Keita, le reconnaissait devant le Conseil de sécurité à New York : « Le blanchiment criminel des ressources naturelles de la RDC sorties clandestinement du pays sape les efforts de rétablissement de la paix. »
Selon l’ONU, le Rwanda a vu en 2023 ses exportations de coltan augmenter de 50% par rapport à l’année précédente. Depuis mai dernier, la cité minière de Rubaya, qui représente environ 15% de la production mondiale de coltan, est totalement passée sous contrôle du M23. Le commerce qui en découle rapporte au groupe armé, toujours selon l’ONU, « environ 300 000 dollars par mois ».
Les experts de l’ONU indiquent aussi que malgré la prise par le M23 de la cité Bunagana, dans la province du Nord-Kivu, les flux illégaux entre l’Ouganda et l’est de la RDC n’ont pas cessé. Le Burundi n’est pas en reste. Dans leur rapport paru en juin 2023, ils soulignent « une augmentation des activités d'un réseau criminel composé de civils burundais et congolais, d’acteurs économiques » depuis le début du conflit, et notent l’implication de « personnes en uniforme burundais engagés dans la contrebande d'or à travers la frontière entre la République démocratique du Congo et le Burundi ».
Un processus qui accrédite le narratif rwandais ?
Les plus optimistes savent gré à João Lourenço d’avoir maintenu un canal de discussion entre la RDC et le Rwanda et veulent croire que le « plan harmonisé », adopté en novembre, est une première étape indispensable pour rétablir la confiance entre les deux pays, préalable à une résolution plus large du conflit.
D’autres, plus sévères, dénoncent « un jeu de dupe » et reprochent au processus de Luanda d’accréditer le narratif rwandais sur le conflit. Sans reconnaître explicitement sa présence sur le sol congolais, Kigali justifie ses « mesures défensives » par la nécessité de lutter contre la menace que représentent pour sa sécurité les FDLR.
« Kigali a réussi à placer le curseur sur la question des FDLR. Je ne dis pas que le problème n’existe pas, mais en faire l’alpha et l’oméga de la situation dans l’est et des négociations, et en faire un préalable au départ de l’armée rwandaise, c’est tout simplement aberrant », estime Onesphore Sematumba.
Par ailleurs, le retrait de l’armée rwandaise règlerait-il le problème du M23 qui n’est pas explicitement mentionné dans ce document ? Désormais, la superficie des zones sous contrôle de ce groupe armé dépasse la superficie du Rwanda. Outre les ressources minières, les rebelles M23 y contrôlent les terres, et y ont mis en place leur propre administration. De quoi compliquer la perspective d’arriver à les cantonner.
rfi
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