Des employés de la compagnie américaine de sécurité privée Bancroft seraient actuellement dans la capitale centrafricaine, où ils prépareraient l’implantation du groupe en vue de proposer des formations et d’investir dans plusieurs secteurs.
Il y a un an, la diplomatie américaine avait fait du sommet États-Unis-Afrique de Washington un rendez-vous de lutte contre l’expansion de la présence russe sur le continent, principalement symbolisée par l’implantation du groupe de mercenaires Wagner. À cette occasion, le secrétaire d’État américain Antony Blinken aurait proposé au président centrafricain Faustin-Archange Touadera des alternatives pour réduire sa dépendance aux hommes d’Evgueni Prigojine. Dans la foulée, les États-Unis avaient d’ailleurs étendu leurs sanctions visant des personnes ou des entreprises liées au groupe Wagner.
Selon un proche du chef de l’État centrafricain, la venue à Bangui d’une mission de la DTRA avait été évoquée lors de ce tête-à-tête, ainsi qu’un « accompagnement militaire par un général cinq étoiles ». La Defense Threat Reduction Agency (DTRA) est une agence du Département de la Défense spécialisée dans les menaces liées aux armes de destruction massive. Ce qui peut sembler étrange à première vue, si ce n’est qu’elle dispense également des « formations », notamment dans la « sécurité aux frontières », selon son site internet. Un volet civil et médical était également prévu, avec un appui au laboratoire national par exemple. Mais un an après, « on les attend toujours », explique notre interlocuteur, « alors peut-être les Américains ont-ils décidé de faire comme les Russes et d’utiliser des contractants », ajoute-t-il.
Protection de sites miniers et chasses haut de gamme
Ce contractant serait l’entreprise de sécurité privée Bancroft. Car selon une source sécuritaire internationale, des employés de Bancroft seraient déjà à Bangui, à la recherche d’un terrain proche de la capitale, « pour y déployer ses moyens techniques, notamment des drones d’observation. »
Bancroft travaillerait « à la création d’une unité centrafricaine bien équipée, formée et encadrée, qui serait dédiée au contrôle et à la protection de concessions minières » dans les zones où opèrent des groupes armés. Selon cette source, ces gisements seraient exploités par « des proches du pouvoir », et les bénéfices partagés entre l’État centrafricain, Bancroft, « et les populations. »
Autre possible champ d’intervention du groupe, la formation de gardes forestiers « dans l’objectif de développer des chasses haut de gamme » pour de riches touristes étrangers.
« Ils sont bien là, mais pas encore opérationnels », nous confirme un proche du chef de l’État, qui assure ne pas avoir plus de détails. Même réponse de la part d’une personnalité politique de premier plan. Un autre membre de la présidence, s’il ne souhaite pas confirmer l’information sur « un sujet suivi au plus haut niveau », rappelle toutefois que « Faustin-Archange Touadéra s’est toujours dit ouvert à des partenariats gagnant-gagnant ». Un troisième collaborateur du palais de la Renaissance affirme pour sa part que pour l’instant « les négociations ne sont pas terminées, et que rien n’est signé. »
Plusieurs témoins disent en revanche avoir croisé à Bangui des « Américains qu’on ne voyait pas avant, et qui ne sont pas de la Minusca ». Certains physiques athlétiques ont été remarqués « en boîte de nuit », d’autres ne passent pas inaperçus avec « chemises hawaïennes et cigares au bec. »
Un porte-parole du département d’État assure que l’administration américaine « n’a pas sollicité l’implication de Bancroft » et renvoie vers l’entreprise pour évoquer ses activités. Bancroft n’a pas répondu aux questions envoyées par courriel.
Des « capacités d’écoutes et d’interceptions » pour la présidence
Toutefois, le site Africa intelligence avait révélé qu’une délégation de Bancroft avait été reçue par le chef de l’État en septembre, en vue de sa possible installation. À la manœuvre, selon la publication, et comme le confirment nos sources, le fondateur du groupe, Michael Stock, et le franco-sud-africain, Richard Rouget. Ce personnage trouble a par le passé travaillé avec le mercenaire français Bob Denard. Il aurait, selon des portraits parus dans la presse, des accointances avec l’extrême-droite et aurait même été suspecté dans l’enquête sur l’assassinat à Paris en 1988 de la représentante de l’ANC en France, Dulcie September.
Côté présidence centrafricaine, Prince-Borel Yaounga Yiko, conseiller de Faustin-Archange Touadera, et André Doungoupou seraient les deux hommes chargés de faire le lien avec Bancroft. Selon nos informations, l’entreprise américaine mettrait « à disposition des capacités d’écoute et d’interception » au service du premier, qui dirigerait une cellule de renseignement à la présidence. Quant au second, il est présenté comme « l’intendant et financier du président » par plusieurs spécialistes du pays.
Sur le continent africain, Bancroft a déjà travaillé en Somalie, en Ouganda, au Kenya et en Libye. La compagnie se présente « comme une ONG ou un organisme à but non lucratif, mais il s’agit bien d’une SMP, société militaire privée », détaille une source militaire française.
Quelle réponse russe ?
La visite de cette délégation à Bangui avait eu lieu peu après celle du vice-ministre russe de la Défense Iounous-Bek Yevkurov, venu rassurer les autorités centrafricaines sur l’implication de Moscou dans le pays après la mort d’Evgueni Prigojine, tout en actant la reprise en main par le Kremlin des activités de Wagner. Iounous-Bek Yevkurov est d’ailleurs passé à nouveau à Bangui récemment en conclusion d’une nouvelle tournée africaine, mais sans rencontrer cette fois le président Touadéra, absent à cette date. Dans le même temps, la Russie a dépêché à Bangui Denis Pavlov, espion sous couverture diplomatique, en remplacement de Vitali Perfilev, qui gérait la partie sécurité, tandis que Dimitri Sytyi a cédé la direction de la Maison russe, mais poursuit son travail auprès des entreprises écrans du groupe Wagner qui exploitent principalement or, diamants et ressources forestières dans le pays.
Selon notre expert, les Américains auraient décidé de « viser les Centrafricains au portefeuille » et de « concurrencer Wagner sur son terrain, marquant la fin de l’hégémonie russe sur les institutions du pays », se réjouit-il.
Ce déploiement expliquerait les difficultés administratives connues par plusieurs Américains ces derniers mois à Bangui, dont un journaliste a été expulsé malgré des papiers en règle, et se traduirait par une certaine nervosité d’acteurs proches des intérêts de Wagner.
Selon Charles Bouessel, consultant pour International Crisis Group (ICG), « les enchères sont en train de monter. En réponse, les Russes pourraient augmenter leurs effectifs » estimés à environ 1 000 hommes en ce moment, « pour revenir à près de 2 000, comme en 2021 » au plus fort de la lutte contre les rebelles de la CPC. Il devrait néanmoins s’agir de personnel sous contrat dans le cadre du nouveau « corps africain » sur lequel travaille le ministère russe de la Défense, et dont les conditions de recrutement sont bien meilleures que celles en cours au sein du groupe Wagner. Mais cette réponse s’avérerait coûteuse pour Moscou, et se ferait même « à perte » estime un spécialiste.
Suite à la venue de Michael Stock, les canaux de communication proches de la Russie, relayés par des proches du pouvoir, avaient annoncé la venue « d’agents de la CIA » à Bangui. Ces dernières semaines, des sites, pages ou médias liés aux intérêts russes ont multiplié les attaques anti-américaines, accusant Washington de préparer des opérations militaires non autorisées, de violer la souveraineté centrafricaine, de préparer le renversement, voir l’assassinat du président Touadéra. Un « recyclage des discours hostiles à la France utilisés ces dernières années », note un officier français. Sur le plateau de la chaîne camerounaise liée à la Russie, Afrique médias, le conseiller à la présidence centrafricaine, Jules Njawe, enjoignait même Washington et Moscou à se livrer à une guerre nucléaire ailleurs qu’en République centrafricaine.
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