Le président soudanais Omar el-Béchir, recherché pour génocide par la Cour pénale internationale, a quitté lundi Johannesburg après avoir assisté à un sommet de l'Union africaine, faisant fi d'une interdiction de sortie du territoire prononcée la veille par la justice sud-africaine.
Son avion a décollé à la mi-journée d'un aéroport militaire de Johannesburg, et les autorités de Khartoum ont rapidement confirmé que le chef de l'État était en route pour regagner son pays.
La Cour pénale internationale (CPI), qui recherche le président soudanais pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l'humanité, avait demandé à l'Afrique du Sud de procéder à son arrestation.
Dimanche, un tribunal de Pretoria lui avait même interdit de quitter le pays tant que la justice sud-africaine n'aurait pas statué sur son cas, une première sur le continent africain en réponse à une demande de la CPI.
L'entourage de M. Béchir n'avait cependant jamais semblé inquiet. «Cette action en justice, c'est l'affaire du gouvernement sud-africain (...) Nous sommes ici comme hôtes du gouvernement sud-africain. Des assurances ont été données par ce gouvernement», avait déclaré dimanche le ministre soudanais des Affaires étrangères Ibrahim Ghandour.
De fait, M. Béchir a tranquillement participé au sommet de l'UA et a posé au premier rang de la photo officielle dimanche.
L'Afrique du Sud a violé sa Constitution
Le gouvernement sud-africain a enfreint la Constitution en n'arrêtant pas le président soudanais Omar el-Béchir, recherché pour génocide par la CPI, a estimé lundi un tribunal sud-africain.
«L'attitude (des autorités) qui ont échoué à prendre des mesures pour interpeller et arrêter le président du Soudan Omar el-Béchir est en contradiction avec la Constitution de la République sud-africaine», a déclaré le juge Dunstan Mlambo, qui avait interdit la sortie du territoire sud-africain au président soudanais. Le jugement a été rendu alors que M. Béchir était déjà dans l'avion pour Khartoum.
L'avocat de l'État n'a fait aucun commentaire, sinon pour annoncer «une enquête approfondie sur les circonstances du départ» de M. Béchir.
«C'est embarrassant pour l'Afrique du Sud qui aurait pu éviter cette situation, tout simplement en ne l'autorisant pas à venir», a commenté Jakkie Cilliers, directeur général de l'Institut des Études de Sécurité (ISS, Pretoria). Sans compter que «sa présence a détourné l'attention des vrais problèmes du continent».
«Mon impression est qu'en le laissant venir, ils (les dirigeants sud-africains) voulaient démontrer au reste du monde qu'ils partagent le point de vue de l'Afrique sur la CPI», a-t-il ajouté.
Depuis des années, les relations entre la CPI et les chefs d'États africains sont tendues. En dépit des poursuites engagées contre lui par la CPI en 2009 et 2010 pour crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocide dans le conflit de la province soudanaise du Darfour, le président Béchir s'est déjà rendu depuis dans des États parties à la CPI tels que le Tchad, le Kenya et le Nigeria, sans jamais être inquiété.
Polarisation sur l'Afrique
Estimant le continent africain injustement ciblé, l'UA s'est plusieurs fois prononcée contre toute tentative d'arrestation du président soudanais, au nom de son immunité de chef d'État en exercice.
La CPI a été créée en 2002 à La Haye pour juger en dernier ressort les génocidaires et criminels de guerre qui n'ont jamais été poursuivis dans leur propre pays. Ses résultats sont inégaux - seules deux condamnations ont été prononcées à ce jour -, mais c'est surtout sa polarisation sur l'Afrique - les huit pays pour lesquels elle a ouvert des enquêtes sont tous africains - qui suscite les plus fortes critiques.
Dès le 28 mai, la Cour pénale avait notifié à l'Afrique du Sud son obligation statutaire, en tant qu'État membre de la Cour, d'arrêter et de lui remettre M. Béchir si celui-ci se rendait sur son territoire.
Le gouvernement sud-africain n'a fait aucun commentaire sur cette affaire, qui fait pourtant les gros titres des médias sud-africains depuis dimanche.
«Si l'Afrique du Sud n'obtempère pas», avait commenté dimanche à Johannesburg l'avocat spécialiste des droits de l'homme Gabriel Shumba, «elle se met dans le même panier que les régimes africains qui n'ont aucun respect pour les droits de l'homme. En réalité, c'est un test pour l'Afrique du Sud».
À l'étranger, les États-Unis ont fait part de leur «vive inquiétude».
Bien que les États-Unis ne soient pas membres de la CPI, a indiqué lundi le département d'État, «nous soutenons fermement les efforts internationaux pour que les responsables de génocide, de crimes contre l'humanité et de crime de guerre rendent des comptes à la justice».
«Nous appelons le gouvernement sud-africain à soutenir ces efforts de la communauté internationale pour faire rendre justice aux victimes de ces crimes haineux», poursuivait Washington, dans un communiqué publié quelques heures avant le départ de M. el-Béchir.
Le président soudanais, 71 ans, au pouvoir depuis un coup d'État en 1989 et réélu en avril sans opposition avec 94 % des voix pour un nouveau mandat de cinq ans, a depuis 2009 considérablement limité ses déplacements à l'étranger, privilégiant les pays n'ayant pas rejoint la CPI.
Avec la presse
Application de CComment' target='_blank'>CComment