Le Burundi a lancé lundi 29 juin la première phase d’élections générales, comme on s’enfonce dans l’inconnu. Il y a des signes qui ne trompent pas : les dernières grenades, les derniers tirs, la nuit, dans les quartiers contestataires de la capitale Bujumbura, lors du dernier week-end avant le jour de vote, ont encore tué. Puis, lundi matin, quelques heures après le début des élections, une nouvelle détonation : une grenade a explosé peu avant 9 heures locales à quelques centaines de mètres du centre de vote de Musaga, sans faire de victime.Ces signes donnent le ton de la façon dont les élections, puis l’annonce des résultats, risquent de se dérouler. A l’approche du scrutin, Ban Ki-moon, le secrétaire général des Nations unies (ONU), a supplié en vain le pouvoir burundais d’annoncer un report. L’opposition a prévenu, samedi, qu’elle boycotterait les élections. Lundi, l’Union européenne a condamné le maintien de ces élections « sans [la mise] en place [des] conditions minimales pour assurer leur crédibilité, transparence et inclusivité ». C’est « un fait grave » qui « ne pourra qu’exacerber la crise profonde que traverse le Burundi », a estimé un porte-parole du service diplomatique de l’UE. La répression a fait déjà plus de soixante-dix morts depuis le soulèvement d’avril.Cela n’a pas influé sur la volonté du pouvoir burundais, qui compte sur les forces de police et l’appui des « Imbonerakure » – une milice selon l’ONU, en réalité un phénomène plus complexe, à la fois ligue de la jeunesse, club, milice, et Etat dans l’Etat – pour mener le processus électoral à tout prix.Dans un pays où une guerre civile de douze ans (1993-2005), déclenchée par l’assassinat du président Ndadaye, a causé la mort d’environ 300 000 personnes, l’inconnu est une menace. Juste avant le scrutin, une nouvelle vague de Burundais a pris la fuite vers les pays voisins, venant grossir le nombre des réfugiés (plus de 120 000) déjà partis depuis le début de la crise, en avril.
Le vice-président et le président de l’Assemblée en fuite
La contestation est apparue le 25 avril, après l’annonce de la candidature du chef de l’Etat, Pierre Nkurunziza, à un troisième mandat. D’abord concentrée dans une série de quartiers de Bujumbura, elle s’est étendue, sporadiquement, à d’autres parties du pays, rapidement matées par la répression. Le pouvoir burundais a alors accusée les contestataires de mener un début d’insurrection. Une lecture de la situation utilisée pour justifier que la police tire à balles réelles sur les manifestants.De plus, comme les bastions de la contestation sont des quartiers de la capitale à dominante tutsie, le pouvoir accuse, de façon de plus en plus précise, les Tutsis en général de mener une tentative de déstabilisation à caractère ethnique. Pourtant la contestation rassemble aussi des Hutus, y compris au sein même du parti au pouvoir, le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD) : des opposants au troisième mandat de M. Nkurunziza se trouvent au plus haut niveau de l’Etat. Marginalisés lorsqu’ils ont fait entendre leur opinion, certains ont fui le pays. Après le deuxième vice-président du Burundi, Gervais Rufyikiri, le président de l’Assemblée nationale, Pie Ntavyohanyuma, le deuxième personnage de l’Etat, vient à son tour de quitter le Burundi clandestinement pour trouver refuge à l’étranger.Remise en cause des accords de paix
A présent, la crise dépasse le fait de savoir si Pierre Nkurunziza peut se présenter une nouvelle fois. Les textes fondamentaux sont de toute façon contradictoires. Les élections législatives de lundi, couplées à un scrutin communal, sont une première phase cruciale, alors que la présidentielle ne doit avoir lieu que dans un second temps, le 15 juillet.Pierre Nkurunziza a en effet besoin d’une large majorité pour remettre en cause les acquis de l’accord de paix d’Arusha, conclu en 2000 au lendemain de la guerre civile. En 2014 déjà, il avait tenté de dynamiter le texte, qui assure, par le biais de quotas ethnique, une représentation des Tutsis au sein des instances dirigeantes et de l’armée. Mais le parti du président n’avait alors pas su rassembler les quatre cinquièmes des suffrages requis pour le vote. La CNDD-FDD mise donc sur les élections de 2015 pour parvenir enfin à casser les dispositions de l’accord, tout à la fois dôme de sécurité et une assurance vie pour les Tutsis, minoritaires au Burundi (15 % de la population).Avant la présidentielle, les législatives sont donc une question d’une gravité extrême. « La situation des droits humains n’a fait que s’aggraver et ce, en seulement quelques mois. Des manifestants pacifiques, y compris des enfants, ont été tués, blessés ou arrêtés. Les médias ont été réduits quasiment à néant. L’impunité règne au Burundi » résume Sarah Jackson, directrice adjointe du programme régional d’Amnesty International.
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