L'ancien président angolais, José Eduardo dos Santos, est mort ce vendredi 8 juillet 2022 en Espagne, à l'âge de 79 ans. « Le parrain », comme on le surnommait, a marqué l'Histoire de l'Angola depuis plusieurs décennies.
« Il veut l'honneur, mais ne rend pas l'honneur. » Dans son dernier message public, sur son compte Instagram, sous une photographie où il se montre tête baissée, les lèvres serrées, l’air déçu et songeur, l'ex-président angolais José Eduardo dos Santos a ces quelques mots énigmatiques. Sans autre commentaire. Et surtout, José Eduardo dos Santos laisse un faux doute planer sur ce « il » qui veut « l'honneur, mais ne rend pas l'honneur ». Ce « il », c’est bien sûr João Lourenço qui, depuis 2017, s’est lancé tambour battant dans une lutte contre la fraude et le blanchiment d’argent. João Lourenço, comme une boule lancée dans un jeu de quilles qui s’appelle le clan dos Santos.
Dans la famille dos Santos, la plus fortunée des femmes africaines, corrompue et corruptrice à l’œuvre dans les secteurs pétrolier et diamantifère, la fille : Isabel, surnommée par les Angolais « la Princesse ». Le fils : José Filomeno, BCBG, qui porte bien un sourire affable, est aux manettes du fonds souverain.
Les « Luanda Leaks »
Une fuite de très nombreux documents confidentiels analysés par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) dont RFI fait partie, a permis, fin janvier 2020, une plongée dans la gestion des affaires d’Isabel dos Santos et Sindika Dokolo, son époux. « Au total, il s’agit de plus de 715 000 fichiers, pour la plupart confidentiels. Ils détaillent le fonctionnement interne de plus de 400 entreprises et filiales, établies pour les plus anciennes depuis 1992 et disséminées dans 41 pays, dans lesquelles le couple détient des parts. Ce sont des échanges de courriels, avec toutes sortes de pièces attachées, contrats, procès-verbaux de réunions de conseils d’administration, organigrammes, rapports de gestion, conventions de prêts ou même des documents personnels, issus de boîtes email d’employés de Fidequity, une de leurs sociétés de gestion basée au Portugal et de plusieurs autres compagnies ou prestataires de services. [...] Les "Luanda Leaks" permettent d’éclairer le rôle de ces petites mains, gestionnaires, avocats, notaires, banquiers, comptables et autres cabinets d’audit qui, au fil des ans, ont posé très peu de questions sur cette mainmise de la famille dos Santos sur l’économie angolaise, les montants astronomiques des transactions financières ou immobilières, moins encore sur l’origine de leur fortune. Même si Mme dos Santos et M. Dokolo se plaignent des restrictions qui leur sont imposées, les États qui abritent leurs investissements sont eux-mêmes presque absents de la conversation. Des millions en liquide sont transférés du Luxembourg au Portugal ; des millions en diamants vont de Suisse vers la France, sans que la question la plus évidente soit posée », écrivait notre consœur Sonia Rolley, qui a enquêté sur le dossier.
Voilà deux grands acteurs de « la compagnie dos Santos », les enfants. Au-dessus de leur tête, de toutes les têtes, le « parrain » : José Eduardo lui-même. Le « parrain », un des multiples surnoms de l’ancien président, auquel on peut ajouter le « Sphinx », le « chef de tribu », le « Prince de Luanda », « Machiavel », etc. En exil à Barcelone, sa communication laisse savamment filtrer une image : le grand-père retraité jouant avec ses petits-enfants. Une image idyllique de sérénité trompeuse, qui cache mal une retraite amère, très mal digérée.
José Eduardo dos Santos, incontournable
Qu’est-ce qui a préparé le petit José Eduardo à un tel destin, à imprimer pendant plusieurs décennies son empreinte sur l’Histoire du pays ? Son nom est lié aux premières années d’indépendance, à l’histoire du MPLA et de la révolution angolaise, à l’entrée dans le XXIe siècle du géant africain... José Eduardo, fils d’Avelino, maçon et paveur de son état, et de Jacinta, a la chance rare de faire des études. En 1961, à 19 ans, il rejoint le MPLA, alors organisation clandestine. Un mois plus tard, il rejoint l’antenne du mouvement de Léopoldville (actuelle Kinshasa). Là, le machiavel s’épanouit. José Eduardo dos Santos gravit les échelons du MPLA. Ses compétences sont reconnues : il est désigné vice-président de la Jeunesse du mouvement. Le fin stratège est envoyé en 1963 à Bakou, en URSS, où il passe le diplôme d’ingénieur de pétrole et de télécommunications. Guerre froide oblige, tout homme politique ambitieux doit passer par la case Moscou. L’irrésistible ascension de dos Santos se poursuit et, en 1975, il entre de plain-pied au comité central et au bureau politique du MPLA, chargé de la gestion du Cabinda. Une emprise sur un dossier sensible, sur les plans politique et économique – le Cabinda, « poumon pétrolier » –, pour le pays. L'indépendance acquise cette année-là, il est propulsé ministre des Relations extérieures. Puis gagne des galons : il devient vice-Premier ministre et ministre du Plan, jusqu’au 10 septembre 1979. Ce jour-là, Agostinho Neto, le premier président de l’Angola, meurt à Moscou. Dos Santos, logiquement, s’impose et lui succède. Il prend la main sur le MPLA et sur l’État angolais. Au pouvoir, une autre lutte s’engage, contre Jonas Savimbi et l’Unita, entre 1975 et 2002, date à laquelle prend fin la guerre civile. Vingt-sept ans de guerre civile. Caméléon politique, dos Santos le marxiste négocie des accords commerciaux avec les États-Unis et conforte son pouvoir en sapant l’attrait que pouvait exercer Savimbi à l’international, historiquement proche de certains milieux américains, israéliens, sud-africains et français. Maquis contre armée régulière, la guerre civile ravage le pays, plongé dans une déstabilisation chronique. Jonas Savimbi tombe sous les balles de l’armée le 22 février 2002. Une page d’Histoire est tournée. La guerre a fait officiellement 500 000 morts et un million de déplacés.
De Sambizanga à la Cidade Alta...
Son parcours pourrait aussi se résumer ainsi : de Sambizanga à la Cidade Alta. Sambizanga est le quartier pauvre de la capitale où le futur président fait ses premiers pas et ses premières... armes. Étudiant, il intègre les réseaux qui sont à la manœuvre clandestine pour anéantir la domination coloniale portugaise. La Cidade Alta symbolise l’aboutissement d’un parcours politique d’un homme qui a atteint le « haut du panier ». La Cidade Alta est une colline perchée sur les hauteurs de Luanda. Le quartier présidentiel. Riche par excellence. Propre. Ici, pas de trottoirs défoncés, de papiers et de détritus par terre, de bruits, de chaos. Ici, l’ordre et le silence règnent entre les pelouses bien vertes et les bâtiments roses et blancs et les colonnades coloniales. Le palais présidentiel est un bunker où, pour y pénétrer, il faut montrer patte blanche tous les cent mètres, sous la très haute surveillance de gardes d’élite triés sur le volet.
La vie après le pouvoir... Depuis son exil barcelonais, José Eduardo dos Santos mène un combat pour son clan. Le « parrain » tente une résistance face à la croisade anti-corruption de João Lourenço, qui se résume pour l’essentiel à abattre la fortunée Isabel (sa fortune est évaluée à au moins trois milliards de dollars) et José Filomeno, né lui aussi avec une cuillère d’argent dans la bouche. La justice portugaise donne un coup de main à la présidence angolaise. En janvier, elle ouvre une enquête sur la milliardaire Isabel dos Santos pour blanchiment d’argent. L’étau se resserre : l’origine des fonds investis par la « Princesse » est jugée douteuse. Luanda a aussi gelé les comptes bancaires et des actifs d’Isabel. Pour José Eduardo, on ne touche pas à la famille. La contre-attaque publique a été organisée : interviews d’Isabel, communiqués, tweets, dénonciation des « mensonges », « fake news »... Pendant ces très longs mois de combat, José Eduardo dos Santos n’a plus ce sourire énigmatique qu’on lui connaît. Avec sa disparition, João Lourenço a les mains libres. Le « parrain » n’est plus.
Rfi
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