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Médecin engagé, le célèbre gynécologue congolais reste inflexible sur le respect de la Constitution, réclame la tenue de l’élection présidentielle le 27 novembre et plaide pour une « alternance démocratique ». Sauf que l’élection présidentielle n’a jamais été aussi incertaine et que le président Joseph Kabila et son entourage proposent deretarder la tenue du scrutin. C’est le fameux « glissement » dénoncé par l’opposition et par la société civile dont les jeunes de Filimbi (sifflet en swahili) et du mouvement citoyen Lutte pour le changement (Lucha).

Samedi 23 juillet, le gynécologue ayant soigné des milliers de victimes de violences sexuelles dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) a dénoncé le harcèlement policier et judiciaire dont sont victimes ces activistes lors d’une marche organisée à Bukavu (Est du pays). Filimbi l’a d’ailleurs nommé « ambassadeur des citoyens » en lui remettant un flambeau forgé, un sifflet et un carton rouge. Une nouvelle responsabilité pour cet homme sans parti que certains aimeraient voir succéder à Joseph Kabila.

Que représente pour vous cette nouvelle nomination par Filimbi ?

C’est une tâche lourde, avec toutes les difficultés que les jeunes rencontrent aujourd’hui en RDC. Je dois porter leur cause qui est juste. Car cette jeunesse veut se battre, trouver des solutions, s’engager pour le pays. Et je n’ai d’autre choix que m’engager à leurs côtés pour construire l’avenir de cette jeunesse congolaise.

Quel rôle allez-vous jouer concrètement en RDC, voire à l’étranger ?

L’éveil de la conscience, pour moi, est capital. Si la population congolaise peut prendre conscience de tout le potentiel que nous avons en RDC – que ce soit le potentiel humain, les ressources naturelles – elle pourra tout simplement réaliser qu’il n’est pas acceptable que les Congolais vivent dans la situation qu’ils connaissent aujourd’hui.

 

Qu’allez-vous faire personnellement en tant qu’« ambassadeur des citoyens » ?

La priorité, c’est amener la population à comprendre qu’elle doit réclamer ses droits et que si elle ne les défend pas, il n’y a personne qui va les lui donner en cadeau. C’est mon devoir decontribuer à convaincre la population que la Constitution qu’ils ont votée doit être respectée pour ne pas risquer de sombrer une nouvelle fois dans la violence. L’alternance est possible sans esprit de revanche ou de destruction.

Nous sommes prêts à discuter avec aussi bien l’opposition qu’avec la majorité. J’appelle tout le monde à la responsabilité individuelle. Ce dont on a besoin aujourd’hui, c’est d’un changement du système, et pas seulement du changement d’un individu. Il nous faut une révolution morale, une révolution des mentalités, sans violence.

Est-ce pour vous un virage politique, ce que vous avez toujours refusé jusque-là ?

C’est d’abord une action citoyenne. Ce n’est pas de la politique, c’est participer à la gestion de la nation en fédérant des organisations de la société civile dans l’espoir d’établir une feuille de route qui sera ensuite soumise au pouvoir comme à l’opposition.

Filimbi est une plateforme jugée subversive par Kinshasa. Craignez-vous qu’on vous assimile à Filimbi et qu’on vous considère comme subversif aussi ?

Si recevoir un flambeau des jeunes devient subversif, alors ce mot « subversion » perd aussi sa valeur, ça n’a plus de sens ! Sincèrement, j’ai insisté avec les jeunes : il ne faut jamais être hors-la-loi. Lorsque les jeunes réclament qu’une Constitution soit respectée, qu’est-ce qu’il y a de plus normal ?

Comment allez-vous concilier votre engagement en faveur des femmes et votre nouvelle fonction d’« ambassadeur des citoyens » ?

S’il n’y a pas la paix, les femmes ne seront pas non plus en paix. Pour moi, les deux sont liés. Les jeunes ne veulent plus voir le sang de leurs parents ou de leurs frères couler une nouvelle fois inutilement. Pour moi faire un plaidoyer pour la paix, c’est continuer à faire ce que j’ai toujours fait.

Vous êtes célèbre à l’étranger mais encore relativement peu connu en RDC.

C’est ça qui fait la force du prix que les jeunes de Filimbi m’ont octroyé. C’est un prix qui veut tout simplement dire : « Nous vous connaissons en RDC ! » C’était très émouvant de recevoir un prix au Congo et pas à l’étranger. Je suis fier de voir que ce prix vient du Congo et que ce sont les jeunes qui me l’ont donné : ça donne de l’espoir. Je crois que les jeunes sont en train de prendre les choses en main pour le bien-être de tous.

Est-ce que le dialogue que propose le président Joseph Kabila pour des élections crédibles et apaisées vous semble être une bonne initiative ?

Ce n’est pas un dialogue d’une semaine qui va permettre que ces élections soient organisées. Ouvrons les yeux et arrêtons d’être naïfs ! S’il y a des gens qui veulent aller au dialogue, qu’ils aillent au dialogue, mais il y a les délais constitutionnels qu’il faut respecter. Et il faut que cette élection se tienne. Je veux croire que si la communauté internationale continue à insister sur l’organisation des élections dans les délais constitutionnels, c’est que c’est possible. Il faut le vouloir.

Certains souhaitent une transition et citent votre nom pour la diriger.

Commencer à ouvrir des brèches de la transition, c’est en fait favoriser tout simplement le désordre. Aujourd’hui, il y a lieu de prévenir ce désordre simplement en organisant les élections.

Quel bilan faites-vous de l’ère Joseph Kabila ?

Quand il est arrivé au pouvoir [en 2001], il est vrai que le pays était complètement déchiré et il y avait une balkanisation de fait. Il a réunifié le pays, il faut reconnaître quand même que c’est très positif. Mais dix ans après, ce qui se passe à l’Est montre bien qu’il y a des limites qui ont été atteintes. Il n’a pas pu mettre fin aux groupes armés. Et ce qu’il n’a pas réussi à faire depuis 2001, il ne pourra le faire durant ces quelques mois de prolongation qu’il veut imposer au pays.

Des opposants, des militants, notamment de Lucha et Filimbi, ont été emprisonnés après avoir demandé le respect de la Constitution. Et Moïse Katumbi, candidat à la présidentielle, dit être la cible de procès politiques. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

C’est dramatique d’arrêter quelqu’un juste parce qu’il a défendu une opinion. Il faut vraiment que cela cesse. On ne peut pas exercer la démocratie si on n’a pas le droit de s’exprimer librement. Dans notre Constitution, c’est très clair. Si des citoyens sont arrêtés parce qu’ils ont donné leur opinion, je trouve que ce n’est pas du tout normal et il faut pouvoir le dénoncer avec force. Nul n’est au-dessus de la loi, mais il faut que cette loi puisse s’appliquer à tous de façon équitable. Il ne faut pas commencer par arrêter les gens et puis donner une grâce présidentielle. Il faut tout simplement ne pas arrêter les innocents.

 

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