Ces derniers jours, une campagne abjecte sur les réseaux sociaux tunisiens a visé les Subsahariens. Un racisme affiché et décomplexé a déferlé sur nos écrans. Cette vague, des associations et des partis fascisants y ont contribué grandement, profitant du racisme anti-noir profondément enraciné dans la société tunisienne afin de diffuser le plus largement possible une absurde théorie du complot et une version locale du Grand remplacement.
Le phénomène était tel que le silence des autorités face à ces campagnes haineuses avait suscité les interrogations. Le pouvoir tunisien cautionnait-il ces agissements ? L’État tunisien est-il complice et adhérerait-il à la cabale ? Plusieurs signaux le laissaient entendre. Tout d’abord, le silence face aux actions entreprises dans l’impunité la plus totale par des entités adoptant un discours ouvertement xénophobe. Business News avait alerté sur ce danger et les conséquences que cela pouvait avoir pour une communauté subsaharienne déjà la cible du racisme au quotidien.
Ainsi, nous révélions que sous couvert de défense de la souveraineté de la Tunisie, le méconnu parti nationaliste mène une campagne aux relents racistes. La formation est présidée par un certain Sofiène Ben Sghir et a obtenu son visa en 2018. Depuis des mois, ses membres sont actifs sur les réseaux sociaux et sur terrain pour « lutter contre la colonisation de la Tunisie par les Subsahariens ».
Ils ont inventé un terme en arabe pour les qualifier « الاجصيين ». Ils font le tour des quartiers de Tunis pour sensibiliser la population afin qu’elle s’oppose à leur présence en Tunisie. Ils propagent une théorie du complot alléguant qu’il s’agit d’un plan ourdi par les Européens en connivence avec les élites tunisiennes francophones pour coloniser le pays. Le postulat est que la plupart des Subsahariens qui arrivent sur le sol tunisien viennent de pays francophones et que des forces « ennemies » de la Tunisie les utilisent dans leur guerre civilisationnelle. Ils font ainsi circuler une pétition pour expulser les subsahariens et l'un de leurs slogans n'est autre que « La Tunisie pour les Tunisiens ». Ils sont très actifs notamment sur les réseaux sociaux où leurs publications génèrent des milliers d’interactions et contribuent à alimenter la haine raciale.
Les autorités ont-elles réagi, ont-elles pris des dispositions pour appliquer une loi qui pénalise la discrimination raciale pourtant adoptée par la Tunisie depuis 2018 ? Rien de tel. On laisse faire et un effet boule de neige se met en place. Les gens commencent à adopter la théorie du complot et à dire que le grand remplacement est en marche. Les rumeurs se propagent. De qui affirme que les Subsahariens sont des mangeurs de chats, d’autres les accusant de pratiquer de la sorcellerie, de la magie noire. Des publications sur les réseaux se multiplient assurant que des amendes seront infligées à toute personne qui hébergerait ou embaucherait des Subsahariens.
La haine n’a fait que monter et se cristalliser. C’est dans cette ambiance délétère que des informations sur des rafles de grande ampleur visant les Subsahariens nous sont parvenues. La communauté s’inquiète et lance l’alerte, notamment l’Association des étudiants et stagiaires africains en Tunisie qui a confirmé, la semaine dernière, que les autorités ont entamé une campagne de contrôles et d’arrestations systématiques visant les Subsahariens peu importe le statut. Par ailleurs, l’association avait annoncé que des visites systématiques sont prévues pour le contrôle des contrats de location dans les résidences des « étrangers ».
Apprenant la nouvelle, des milliers de Tunisiens ont exprimé leur joie sur les réseaux, une joie teintée d’un racisme décomplexé. « Bravo aux autorités », « Qu’ils rentrent chez eux ces sales africains ! », « Ils veulent nous envahir, spolier nos terres, violer nos femmes, imposer leur religion et leur langue, nous remplacer dans notre propre pays ces sauvages ! »… Des personnalités publiques ont été de la partie, comme monsieur météo de la Télévision publique qui affirme : « J’ai cru me perdre en chemin et arriver au Congo » ; comme cette avocate fan du président qui dit : « Le nombre de naissances d’Africains se multiplie dans nos hôpitaux. Que Dieu nous vienne en aide » ; comme cette journaliste qui appelle le président à sévir et les accuse de manger tout ce qui bouge ; comme cette députée qui publie la photo d’un chef de tribu africaine en ironisant sur le fait que ce sera le prochain gouverneur de Sfax.
La fachosphère s’en donnait à cœur joie et l’État n’y mettait pas un terme. Au contraire, le président de la République en personne a surfé sur la vague en publiant un communiqué officiel sur la page officielle de la présidence de la République. Au nom de la Tunisie et des tous les Tunisiens, le président s’est permis de reprendre tous les codes et les éléments de langage de la théorie du complot véhiculés depuis des mois par les parties racistes et xénophobes. « Cette situation est anormale. Il y a un plan criminel préparé depuis le début de ce siècle pour métamorphoser la composition démographique de la Tunisie… Certaines parties ont reçu de grandes sommes d’argent après 2011, pour l’établissement des immigrants irréguliers subsahariens en Tunisie… L'objectif non annoncé des vagues successives de la migration clandestine étant de considérer la Tunisie comme un État africain n’ayant aucune appartenance arabe et islamique ».
La fachosphère applaudit. Il faut dire que le populisme va souvent de paire avec le fascisme. Gageons que la popularité présidentielle a fait un bon pic. En consacrant la théorie du Grand remplacement, en contribuant à attiser les haines raciales, la tête de l’État ne semble pas avoir pensé aux conséquences directes sur une population déjà victime au quotidien. La Tunisie a reçu, par ailleurs, des tapes sur les doigts par les Européens, notamment les Italiens. Ainsi, nos autorités jouent aux gendarmes des frontières pour le compte des Méditerranéens de la rive nord moyennant quelques euros, quitte à agir indignement envers les co-continentaux.
En 2018, la Tunisie a pourtant été le premier pays de la région à promulguer une loi qui pénalise la discrimination raciale. Mais dans les faits, l’impunité la plus totale prévaut et à ce stade c’est l’Etat de tout son poids qui se joint au mouvement.
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