Le président Goodluck Jonathan
Il en fallait du courage aux Nigérians pour se rendre aux urnes ce week-end, malgré les menaces d’attentat du groupe terroriste Boko Haram. C’est le scrutin le plus serré de la jeune histoire démocratique (depuis la fin des dictatures militaires en 1999) dans le pays le plus populeux d’Afrique. S’ils bravent ainsi le danger, c’est que les Nigérians ont conscience de ce qui est réellement en jeu dans cette consultation : un premier pas vers la paix ou le début d’une fracture religieuse du pays.
Rien n’est simple dans ces élections ; même pas le mode opératoire. En effet, les 68,8 millions d’électeurs devaient d’abord se présenter devant des assesseurs pour confirmer leur inscription sur les listes électorales. Et ils revenaient une deuxième fois pour passer à l’isoloir. Outre le mandat présidentiel qui est en jeu, il s’agit aussi de renouveler tout le parlement. La campagne électorale fut compliquée, ponctuée par les carnages de Boko Haram, la quasi-désertion des militaires sous équipés et terrifiés quand ils étaient envoyés au front. Il a fallu attendre l’entrée en scène des pays voisins pour voir le groupe terroriste subir ses premiers revers.
Les Nigérians furent longtemps une toile de fonds invisible d’une indignation asymétrique de la communauté internationale (surtout occidentale) face aux horreurs de la violence islamiste. Tant et si bien que, de cette barbarie installée au Nord du Nigeria, le monde ne connaît que le visage et le nom du chef de Boko Haram, l’ignoble Abubakar Shekau. Nul décapité, nul otage, nul immolé, pour symboliser les victimes.
Aujourd’hui, les longues files devant les bureaux de vote disent que les Nigérians veulent nous faire entendre leur voix. Mais à Kano, la grande ville du Nord nombre de fois victime des attaques terroristes, les électeurs ont assiégé les bureaux de vote, sitôt la prière du matin terminée.
Oui, les Nigérians ont fait leur part. Ils ont démontré une bravoure admirable en répondant au rendez-vous électoral malgré les menaces directes de Boko Haram à ce scrutin. Mais cette témérité risque de se transformer en immense colère si le processus ne s’avère pas de bout en bout honnête et transparent.
Les deux principaux candidats à la présidence, le chrétien et président sortant Goodluck Jonathan (57 ans) et son plus sérieux rival le musulman Muhammadu Buhari (72 ans), se sont engagés à se livrer une bataille pacifique et unificatrice. Mais, toute allégation de fraude pourrait faire éclater ces belles promesses. La tentation de voter pour le candidat de sa confession religieuse étant déjà évidente au sein de la population nigériane, l’appel à une mobilisation « musclée » sera entendu sans trop de difficultés. Les derniers sondages mettant les deux adversaires politiques au coude à coude, chaque bulletin de vote pourrait faire la différence.
Dans 48 heures, les résultats vont commencer à émerger. Il faudra écouter les premières réactions des candidats. S’ils acceptent le verdict des urnes, Boko Haram aura du souci à se faire. Sinon, les terroristes islamistes ont tout le loisir de danser sur les cendres d’un pays plongé dans le chaos d’un affrontement religieux.
UNE PENSÉE POUR LA SOMALIE
Pendant ce temps, alors qu’on les pensait aux abois et fragilisées par la perte de grandes positions stratégiques, les milices Shebabs viennent de réaliser un autre bain de sang à Mogadiscio. Des hommes armés ont pris d’assaut un hôtel de la capitale somalienne hier soir. Ils ont détenu des otages pendant plusieurs heures. L’issue de l’opération ne faisait pas de doutes. Les assaillants étaient venus pour mourir, comme l’a démontré dès le départ un des membres du commando en activant la bombe qu’il portait dans sa veste. Le bilan provisoire fait état d’une vingtaine de morts, des peccadilles selon les standards de la tragédie somalienne.
Parmi les morts : Yusuf Mohamed Ismail Bari-Bari, le représentant permanent de la Somalie aux Nations Unies, à Genève. Un homme qui m’avait convaincu d’avoir foi en son pays. Le visage rond et un sourire avenant, je l’ai rencontré l’année dernière en France. Il était certain que son pays émergeait peu à peu de l’enfer. Il estimait que le temps était venu pour un retour de la communauté internationale. Il y a trois ans, il avait effectué une vaste tournée canadienne pour mobiliser les responsables politiques et les Somaliens de la diaspora. Il paye de sa vie son engagement dans la renaissance de la Somalie.
Francois Bugingo/ le journal de Montréal
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