Après des mois de tension, des combats ont éclaté samedi matin entre les soldats de l'armée régulière et les FSR, la milice du numéro 2 de la Transition le général Hemedti. Le bilan provisoire, annoncé ce dimanche 16 avril au matin par le syndicat des médecins, est de 56 morts parmi les civils, des dizaines d'autres chez les belligérants et de plusieurs centaines de blessés.
Le jour s’est levé à Khartoum dimanche matin au son des mitrailleuses Dushka et des tirs d’artillerie. Toute la nuit, les explosions se sont poursuivies, comme un orage en fond sonore, à faire trembler les fenêtres, rapporte notre envoyé spécial à Khartoum, Eliott Brachet. Les habitants de la capitale n’ont pas fermé l’œil, calfeutrés chez eux et, tout au long de la matinée de ce dimanche, la situation n'a pas évolué.
On entend une détonation par minute suivie de salves de tirs ininterrompus, l’horizon est brouillé de fumée noire en direction des différentes bases militaires autour de la ville, poursuit-il.
Au cœur de Khartoum, le quartier général de l’armée régulière est le théâtre d’intenses combats. Parfois, des avions survolent la zone et viennent bombarder des positions, mais c’est assez illisible. Même si l’armée régulière détient un avantage avec son aviation, il semble que les deux belligérants combattent à forces égales sans parvenir à mettre un terme rapidement aux affrontements.
Les deux camps divulguent des informations sur de soi-disant désertions chez l’adversaire ou bien des prises de guerre, mais elles sont démenties quelques minutes plus tard, par le camp opposé.
Pas de déclarations non plus des deux généraux, ce dimanche. On ne sait pas où ils se trouvent.
Les civils, eux, continuent de faire les frais de cette guerre fratricide. Au milieu des combats, des journalistes et employés sont coincés dans des tours. Des collégiens sont tapis dans les sous-sols de leur école.
Plusieurs personnes confirment la présence de snipers sur les toits. Ceux qui sortent pour fuir les zones de combat risquent des balles perdues. À Khartoum, des corps affluent dans les morgues et la situation dans certains hôpitaux est critique, parfois sans électricité et face à l’impossibilité de faire circuler les ambulances.
La journée de dimanche a été déclarée fériée dans l'État de Khartoum où les écoles, les banques et les bureaux gouvernementaux sont fermés.
Des renforts pour les FSR ce dimanche matin
Le conflit s’est étendu à de nombreuses villes, à Port-Soudan et Kassala, dans l’est du Soudan, à El-Obeid au centre, et toujours au Darfour dans les grandes villes. Le général Hemedti l’avait déclaré hier : ses troupes paramilitaires ne s’arrêteront pas tant qu’elles n’auront pas le contrôle de toutes les bases militaires du pays. Plusieurs rapports indiquent que les FSR ont reçu des renforts ce matin à Khartoum.
C'est en 2013 que les FSR ont été créées, au Darfour, par l'ancien président Omar el-Béchir. Il s'agit alors d'utiliser des milices janjawids contre des groupes rebelles. Mais ces paramilitaires ont pris de l'ampleur, comme l'explique Roland Marchal, chercheur à Sciences Po Paris sur le Soudan, au micro de Gaëlle Laleix, de la rédaction Afrique.
« Les militaires ont créé les FSR [ou RSF pour Rapid support forces en anglais], et dans le reste de la décennie des années 2010 - notamment grâce aux Émirats arabes unis et la guerre au Yémen - ça a été une autonomisation beaucoup plus grande de ces forces paramilitaires qui ont été utilisées dans différents conflits, avec l’accord du président soudanais Omar el-Béchir, notamment au Yémen et puis même en Libye dans leur soutien au général Haftar. Cette autonomisation économique a fait que cette force... a grandi. Aujourd’hui, on l’estime à plus de 110 000 hommes. C’est vraiment une armée bis, et évidemment, son leader, acquérant à la fois un profil militaire beaucoup plus grand et une surface économique aussi beaucoup plus grande, a décidé qu’il fallait peut-être faire de la politique. Ce n’est pas tellement qu’on a à faire à un grand démocrate sincère, c’est surtout quelqu’un qui voit son espace politique de plus en plus restreint et qui sait que sa survie politique et économique sera beaucoup plus liée à une transition vers un pouvoir civil, qu’au maintien d’une junte qui dysfonctionne et qui ne permet rien du tout. »
Inquiétude internationale, réunion de la Ligue arabe
Les deux généraux – Abdel Fattah al-Burhan et Hemedti, ancien alliés lors du coup d'État de 2021 – semblent s’être lancés dans un combat à mort. Les deux sont notamment en désaccord sur la façon d'intégrer les RSF au sein de l'armée, disposition prévue dans le futur accord politique censé rendre à terme le pouvoir aux civils. Accord dont la signature a été reportée sine die.
Dès samedi, les appels à la cessation des hostilités se sont multipliés de la part des Nations unies, des États-Unis, de la Russie, de l'Union européenne et de pays voisins. Le Tchad a ainsi fermé sa frontière samedi soir avec le Soudan.
La Ligue arabe a annoncé une réunion d'urgence ce dimanche au Caire, à la demande de l’Egypte et de l’Arabie saoudite.
L'Egypte en première ligne
La première cause de préoccupation pour Le Caire est l’arrestation par les Forces de Soutien Rapide de militaires égyptiens qui participaient à des manœuvres aériennes avec l’aviation soudanaise, rapporte notre correspondant au Caire, Alexandre Buccianti. Des Mig-29 égyptiens qui participaient aux manœuvres aériennes ont été sabotés sur la piste de l’aéroport et les pilotes ont été accusés d’être « des envahisseurs » et donc des prisonniers de guerre : c’est ce qu’ont déclaré des officiers de la Force de soutien rapide (FSR) dans une vidéo où l’on voyait des militaires égyptiens malmenés à l’aéroport soudanais de Méroé. Les déclarations ultérieures du général Hemedti, visant à rassurer et à empêcher que l’Egypte ne devienne partie prenante dans le conflit opposant la Force de soutien rapide à l’armée soudanaise, n’ont pas convaincu. De nombreuses voix, notamment sur les médias sociaux égyptiens, réclament « vengeance » par le biais d’une opération militaire.
L’autre raison est liée au barrage éthiopien sur le Nil Bleu. Le Caire et Khartoum étaient alliés contre Addis-Abeba et se livraient régulièrement à des manœuvres aériennes pour laisser entendre qu’ils avaient les moyens d’intervenir. L’écartement des militaires du pouvoir ferait voler ce pacte en éclat. Une autre cause de préoccupation est liée à l’histoire. Le Soudan était dirigé par l’Egypte jusqu’en 1956. Un pays politiquement considéré par l’Egypte comme son arrière cour. Il y a enfin l’appréhension d’un raz de marée de réfugiés soudanais. On estime à plusieurs millions le nombre de soudanais résidant en Egypte. Un nombre qui, pour des raisons économiques, augmente de 40 000 personnes par mois selon un ancien ambassadeur soudanais.
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