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AFRIQUE

L'actualité de la semaine en Afrique

Dans la nuit du 3 au 4 juillet, des Tunisiens ont attaqué les maisons de migrants subsahariens à Sfax, seconde ville du pays. Ces violences ont été déclenchées par la mort d’un Tunisien, dont trois Subsahariens sont soupçonnés d’être responsables. Des images filmées par les assaillants et des habitants témoignent de ce déferlement de violences. La police a ensuite embarqué nombre de ces migrants pour les lâcher dans le désert.

C’est une vidéo qui a mis le feu aux poudres : le soir du 3 juillet, Tarak Mahdi, un député tunisien filme et retransmet en direct sur Facebook les suites d’une altercation entre un Tunisien et, selon lui, trois Subsahariens à Sfax. “Des Africains ont poignardé un homme ce soir” entame-t-il, face caméra. Il montre ensuite le corps d’un homme gisant sur le trottoir, du sang coulant sur la chaussée. Une femme arrive du bout de la rue en hurlant “Mon fils !”. Le député explique que l’homme est dans un état critique, et appelle les forces de l’ordre à intervenir immédiatement. “Les Africains qui l’ont poignardé se sont échappés, il faut que tout le monde se mobilise.” 

Capture d’écran de la vidéo publiée en direct sur Facebook par le député Tarak Mahdi le 3 juillet à 23h54.
Capture d’écran de la vidéo publiée en direct sur Facebook par le député Tarak Mahdi le 3 juillet à 23h54. © Tarak Mahdi

La rédaction des Observateurs de France 24 a pu vérifier une dizaine d’images amateur qui ont été filmées et publiées la nuit du 3 juillet. 

Une seconde vidéo filmée au même endroit montre ensuite des agents en uniforme de la Garde nationale (gendarmerie) et des civils interpeller des hommes noirs. Ils les embarquent à bord d’un véhicule de la Garde nationale. Une foule de jeunes hommes est présente, dont quelques-uns armés de bâtons.

Plus tard dans la soirée, des fourgons des forces de l’ordre patrouillent dans le quartier de Gremda, au nord de Sfax, où a eu lieu le drame. Des vidéos filmées par des habitants du quartier montrent des raids de la police dans différents quartiers de la ville, auxquels une foule de Tunisiens assiste dans la rue. 

Dans cette vidéo filmée sur une route reliant l’arrondissement de Sakiet Ezzit à Sakiet Eddaier (dans le nord-est de Sfax), une foule de jeunes hommes assiste à un raid des forces de l’ordre. Certains sont montés sur les toits et les murs des maisons avoisinantes. Dans la rue, plusieurs fourgons sont garés, gyrophares allumés, dont un qui appartient à la brigade d’intervention spéciale G.I.C.

La foule entame un vers de l’hymne national, applaudit et encourage les gendarmes qui maintiennent un cordon de sécurité entre la foule et les migrants interpellés. “Il y a plus de 200 personnes ici”, commente l’auteur de la vidéo. 

Cette vidéo filmée le 3 juillet dans le quartier d’al-Habib à Sfax montre des riverains tunisiens rassemblés dans la rue. Ils applaudissent une opération d’interpellation menée par la police tunisienne dans des maisons de migrants subsahariens. On entend l’auteur de la vidéo s’exclamer : “Vive la Tunisie ! Sfax n’est pas une colonie. Dégagez, dégagez ! Rentrez chez vous !”. La foule entame un chant de supporters de football, en défiance de la police : “Rien à fo*tre de la police, nous n’avons peur que de Dieu”, une façon de soutenir ceux qui souhaitent se faire justice eux-mêmes.

Tous les Noirs qui passaient dans ce coin, ils les arrêtaient dans la rue ou ils leur tapaient dessus”

Nous avons été contactés le 4 juillet par Guillaume (pseudonyme), un migrant issu d’un pays d’Afrique subsaharienne qui habitait le quartier de Gremda. La nuit du 3 juillet, les maisons de son quartier ont été attaquées par des groupes d’hommes tunisiens. Il a pu se sauver, et se dit actuellement en sécurité. Dans des messages vocaux adressés à la rédaction, sa voix tremble, il chuchote.

Je ne peux même pas élever la voix de là où je vous parle actuellement, j’ai très peur, beaucoup de mes proches ont été embarqués par la Garde nationale à Sfax. 

Le 3  juillet au niveau du quartier de Gremda, des Tunisiens se sont présentés armés de bâtons et de machettes [plusieurs témoignages font état de l’utilisation d’armes coupantes mais aucune image ne le documente, NDLR] dans la nuit, au niveau du “café des Chinois” [connu pour être un lieu de rassemblement des Subsahariens à Sfax, NDLR]. Tous les Noirs qui passaient dans ce coin, ils les arrêtaient dans la rue ou ils leur tapaient dessus. Ils ont blessé plusieurs personnes au couteau aussi.

Nous n’avons pas pu filmer l’attaque du 4 juillet, on avait trop peur. Les assaillants nous jetaient des cailloux à la tête. Ils sont rentrés chez notre voisine et ont cassé ses meubles, les fenêtres, ils ont fouillé la maison et fracassé la télé. Ils ont aussi mis le feu. Quand des voisins subsahariens ont appelé la police, celle-ci s’est présentée mais a embarqué les Subsahariens qui étaient dehors, sans vérifier les papiers ou les laisser aller chercher leurs passeports. 

Par chance, j’ai pu me sauver dans la nuit, j’ai couru, j’ai croisé une voiture qui quittait la ville et le conducteur m’a fait monter. Je n’arrive pas à croire encore que je suis en vie.

“On nous a déposés dans les montagnes, puis la police et les bus ont fait demi-tour”

Un nombre inconnu de Subsahariens a été embarqué dans des bus. Ce mercredi 5 juillet au matin, notre Observateur Alpha (pseudonyme), guinéen, nous a envoyé des messages depuis “le désert” où il a été déposé. Il a fait la route toute la nuit en bus avec deux autres cars - appartenant à la compagnie régionale de transport urbain à Sfax SORETRAS- transportant des Subsahariens.

Ils nous ont embarqués vers 22h30 dans un bus, puis on a pris la route pour sortir de Sfax. À 23h45, le bus était arrêté au niveau du Km 10 à Sfax, on s’arrêtait sur la route pour faire monter encore plus de gens. Le bus était bondé, un second bus a rejoint le convoi. Ils contrôlaient les gens dans la rue, et dès qu’ils voyaient un Noir ils le faisaient monter dans le bus. Ils ne demandaient ni papiers, ni carte de séjour, avant de les faire monter. 

J’ai dit au policier avant de monter dans le bus : “On nous a appris que vous nous envoyiez au désert de Libye ou en Algérie”. Le policier m’a dit que non, qu’on allait nous envoyer dans un lieu sécurisé. Or, on nous a lâchés ce matin sur ce qui ressemble plutôt aux frontières avec l’Algérie. On nous a déposés vers les montagnes, puis les véhicules de la police et les bus ont fait demi-tour. On marche vers la frontière en espérant tomber sur des gardes-frontières algériens ou entrer sur le territoire algérien.

“Si vous faites l’erreur de traîner près du poste de police, ils vont vous envoyer dans le désert.”

Ceux qui ont échappé à la police se terrent désormais chez eux, comme Paul (pseudonyme), un Camerounais, qui habite le quartier Ennasria, dans le centre de Sfax.

Ce matin [5 juillet], au bureau de poste à Ennasria, dans le centre de Sfax, des gens qui étaient venus retirer leur argent via Western union ont été embarqués : la police s’est présentée, ils ont raflé tout le monde.  

Comme j’habite dans le centre-ville, je suis cependant un peu rassuré : ici au moins, il n’est pas très possible pour les riverains tunisiens de faire beaucoup de raffut par rapport aux quartiers périphériques.

Il faut rester dans sa maison, à l’extérieur on peut se faire interpeller par la police n'importe quand. Si vous faites l’erreur de traîner près du poste de police, ils vont vous envoyer dans le désert.

La police ne fait rien pour rechercher les agresseurs, absolument rien.

Selon le porte-parole du tribunal de Sfax,  34 migrants ont été interpellés dans la nuit du 3 au 4 juillet à Sfax suite aux altercations avec les habitants du quartier Gremda, où a eu lieu le meurtre. Quatre Tunisiens ont été placés en garde à vue pour avoir hébergé des migrants en situation irrégulière à Sfax. À ce jour, aucune arrestation ou interpellation des Tunisiens impliqués dans les faits de violences n’a eu lieu.

Le ministère public, équivalent du procureur de la République, a émis le 5 juillet un mandat de dépôt contre 33 autres migrants subsahariens en situation irrégulière auprès du tribunal de première instance de Sfax. 

Ces rafles font suite à deux vagues de violences xénophobes et de campagnes d’interpellation et de déportation des migrants subsahariens en Tunisie. En février 2023, un discours du président tunisien Kaïs Saïed lui a valu des accusations de racisme et de xénophobie ciblant en particulier les ressortissants de pays d’Afrique subsaharienne.

France 24

 

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