Il aura eu chaud à Paris, François Compaoré, frère cadet et ex-conseiller de l'ex-président du Burkina, Blaise Compaoré. Arrêté ce dimanche à l'aéroport de Roissy à la suite du mandat international lancé contre lui le 5 mai dernier par la justice burkinabè, il a finalement été laissé en liberté ce lundi par le juge de la Cour d'appel de Paris devant lequel il a été présenté. Donc, un pas en avant, un pas en arrière quant au dossier François Compaoré dans ses démêlés avec la justice. Faut-il le rappeler, c'est dans le cadre de l'assassinat du journaliste Norbert Zongo et de ses trois compagnons de route en décembre 1998 que François Compaoré est poursuivi. Le motif juridique avancé : « incitation à assassinats » . Dans un entretien qu'il a accordé au magazine Jeune Afrique en septembre dernier, François Compaoré assurait qu'il se mettrait à la disposition de la justice burkinabè s'il obtenait la garantie d'un procès équitable. En tout cas, pour le moment, l'ancien bras droit de Blaise Compaoré, surnommé "petit président" conserve sa liberté. Le frémissement que son arrestation provisoire n'a pas manqué de susciter à Ouagadougou va-t-il vite retomber ? Pour bien comprendre ce qui se joue autour de François Compaoré, retour sur l'affaire Norbert Zongo qui dure depuis dix-huit ans.
Qui était Norbert Zongo ?
Né en 1949 à Koudougou, Norbert Zongo est passionné de journalisme depuis son plus jeune âge. Il crée son premier journal au collège selon la légende. L'investigation chevillée au corps, il se formera au journalisme, au Togo. Pays où il publie son premier roman jugé critique envers le régime Eyadéma. Ce sera son premier fait d'armes. Fuyant le Togo, et ses services secrets, il sera emprisonné pour une année à son retour au Burkina Faso. Encouragé par son mentor, le célèbre écrivain ivoirien Amadou Kourouma, il prend la route du Cameroun, observe, apprend, affûte sa plume. Il met fin à ses années de fuite en rentrant définitivement écrire sous la plume de Henri Segbo, son pseudonyme dans la presse. Et son crédo Borry Bana qui signifie « la fuite est terminée » marque bel et bien le début d'une grande aventure éditoriale où il met en difficulté, dans chacun de ses articles, les cercles du pouvoir au Burkina Faso comme à travers tout le continent.
Directeur de l'hebdomadaire L'Indépendant, et connu pour ses positions critiques du pouvoir, sa mort avait ouvert une longue crise politique et sociale dans le pays. Il a été tué avec trois camarades de route (Blaise Ilboudo, Ablassé Nikiéma et Ernest Zongo), le 13 décembre 1998, alors qu'il enquêtait sur le meurtre de David Ouedraogo, le chauffeur de François Compaoré, torturé à mort par des gardes du Régiment de sécurité présidentielle (RSP), la garde prétorienne de Blaise Compaoré. Leurs dépouilles avaient été retrouvées calcinées dans la voiture de Norbert Zongo à Sapouy – à environ 100 kilomètres de Ouagadougou.
Dans les jours qui suivent, des milliers de personnes vont descendre dans les rues des principales villes du pays pour demander que justice soit faite. Des symboles du pouvoir, comme le siège de l'ancien parti unique de la capitale, sont saccagés. Cette affaire reste l'un des épisodes les plus sombres du règne de Blaise Compaoré, au pouvoir durant vingt-sept ans avant d'être chassé fin octobre par un soulèvement populaire.
Que reproche-t-on à François Compaoré ?
Dans l'enquête sur la mort de son chauffeur, François Compaoré a un temps été inculpé de « meurtre et recel de cadavre », mais dans le dossier Zongo il n'avait jamais été inquiété avant l'émission de ce mandat d'arrêt. Il a été entendu par Wenceslas Ilboudo, l'ancien juge chargé d'enquêter sur l'assassinat du journaliste Norbert Zongo, le 17 janvier 2001. Rebondissement ce dimanche 29 octobre, l'homme de 63 ans, citoyen ivoirien comme son frère depuis qu'ils ont été chassés du pouvoir est arrêté en France à sa descente d'avion à l'aéroport parisien de Roissy. Retenu par la police aux frontières, il devrait être présenté au parquet général de Paris lundi pour statuer sur sa situation en France au cours de la procédure d'extradition, a déclaré son conseil, Me Pierre-Olivier Sur.
François Compaoré « a été entendu trois fois par la commission d'enquête internationale et trois autres fois par une juridiction d'instruction au Burkina, or chacune de ces deux procédures l'a disculpé » dans ce dossier, fait valoir son avocat en France. « Le pouvoir en place, qui ne parvient pas à retenir de charges contre Blaise Compaoré change aujourd'hui son fusil d'épaule et accuse son frère », estime Me Sur.
Où en est la justice ?
Le 18 décembre 1998, un décret a institué une « Commission d'enquête indépendante » chargée de faire la lumière sur la mort du directeur de L'Indépendant. Si elle a disposé d'importants moyens et de vrais pouvoirs d'investigation, après trois mois d'investigation et plus de 200 auditions, son rapport rendu public le 7 mai 1999, précise que Norbert Zongo a bien été assassiné, victime « d'un guet-apens », mais qu'elle ne possède pas de « preuves formelles » lui permettant de désigner les auteurs du crime.
La Commission a toujours affirmé qu'il fallait chercher les mobiles de ce meurtre « du côté des enquêtes menées depuis des années par le journaliste et notamment sur ses récentes investigations concernant la mort de David Ouedraogo, le chauffeur de François Compaoré, conseiller à la présidence » et frère du chef de l'État. Selon elle, il existe « des contradictions et des incohérences dans les auditions d'un certain nombre de personnes suspectées en raison de leur emploi du temps du 13 décembre 1998. » Elle cite d'ailleurs les noms de six militaires de la garde présidentielle, avant de conclure : « Cela n'en fait pas des coupables, mais de sérieux suspects. » Six « suspects sérieux » avaient été identifiés par la Commission d'enquête indépendante mise en place par les autorités burkinabè, mais seul l'adjudant Marcel Kafando, ex-chef de la garde rapprochée du président Compaoré, avait été inculpé, avant de bénéficier d'un non-lieu.
En 2006, la justice burkinabè avait classé le dossier, officiellement pour manque de preuves.
L'espoir renaît d'Arusha à Ouagadougou
La chute de Blaise Compaoré le 31 octobre 2014, chassé par des émeutes populaires après vingt-sept ans de pouvoir, a changé la donne judiciaire. L'affaire Zongo a été rouverte par la justice burkinabè, qui a lancé un mandat d'arrêt international début mai 2017 contre François Compaoré – l'émission du mandat n'a été connue qu'en juillet.
Bien avant la chute de Compaoré, le 28 mars 2014, la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples (CADHP), qui siège à Arusha, au Nigeria, saisie par des proches de Norbert Zongo, avait accusé l'État burkinabè d'avoir « failli à ses obligations ». Ouagadougou « n'a pas fait preuve de la diligence due en vue de rechercher, poursuivre et juger les assassins de Norbert Zongo et ses compagnons », avait affirmé la CADHP. Qui a permis des avancées dans le dossier comme l'inculpation des soldats et l'indemnisation les familles des victimes pour plus de 233 millions de francs CFA.
D'autres affaires ont été rouvertes, à commencer par la plus emblématique, l'assassinat du président Thomas Sankara en 1987 lors du putsch qui a porté Blaise Compaoré au pouvoir.
Avec le Point
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