Lancement de la refonte du fichier électoral, appel de l'opposition à manifester, tentative incertaine de dialogue national, renforcement de la mission de la Monusco… En moins d'une semaine, la RD Congo a connu une succession d'événements dont on peut se demander s'ils sont de nature à dénouer la crise politique ou bien plutôt à attiser le feu, à quelques mois d'une présidentielle censée se tenir en novembre.
Le scrutin aura lieu… Mais quand ?
Il y a d'abord eu le 29 juin la promulgation de la loi sur l'enrôlement des électeurs. Il s'agit de réviser le fichier électoral datant de 2011, et notamment en prenant en compte les nouveaux majeurs ainsi que les Congolais de l'étranger. Les fournisseurs des kits électoraux ont ainsi été désignés, une feuille de route sur l'enrôlement par zone géographique a été établie… « Plus de doute sur la tenue des élections », nous dit Le Congolais, citant le président de la Commission électorale nationale indépendante (Céni) Corneille Nangaa : « L'enrôlement des électeurs commence à partir du 31 juillet 2016 prochain pour bâtir un fichier de 45 millions d'électeurs environ. Il s'agit d'une opération de grande envergure qui va mobiliser l'ensemble de notre pays. » Une opération d'une telle envergure (d'une durée de 16 à 17 mois au minimum avait clairement estimé le patron de la Céni en février dernier), cependant, qu'elle hypothèque la tenue de la présidentielle dans les délais prévus par la constitution (novembre 2016). Acter ce processus revient donc à retarder le scrutin et, de facto, le terme du deuxième et supposé dernier mandat de Joseph Kabila, lequel expire en principe le 20 décembre.
Appel à la mobilisation le 31 juillet
Pour l'opposition, une nouvelle pièce du puzzle s'emboîte, en vue de permettre au chef de l'État de se maintenir « illégalement » au pouvoir. Elle appelle à une mobilisation générale le 31 juillet. Il s'agit « de dire au monde entier que les Congolais tiennent à leur constitution et ne veulent plus de régime tyrannique », tonne Charles Mwando. L'ancien ministre, qui préside la coalition de partis d'opposition G7, s'exprimait surtout au nom du « Rassemblement pour la défense des valeurs de la République », une méga-plateforme d'opposants née en Belgique le mois dernier autour d'une de leur figure historique : Etienne Tshisekedi. Lors d'une conférence de presse à Kinshasa lundi 4 juillet, le « rassemblement » a annoncé une série de mesures en vue de barrer la route vers un troisième mandat de Joseph Kabila. Il s'agit, relate Le Congolais, de « contraindre le pouvoir en place de débloquer le processus électoral » et « de se conformer à loi fondamentale votée par referendum par 85 % des Congolais », notamment en convoquant le corps électoral le 20 septembre, soit trois mois avant la fin du mandat de l'actuel président.
L'opposition en ordre de bataille
« Il n'y a pas plus violent acte politique que la violation de la Constitution », a pesté un autre représentant du « rassemblement », Delly Sessanga, également patron de l'Alternative pour la république (AR). Il a également réaffirmé ce 4 juillet la candidature de Moïse Katumbi à la présidentielle. Selon lui, l'ancien gouverneur de l'ex-province du Katanga, visé par une procédure judiciaire, « reste le ticket gagnant de l'AR et du G7 » pour le fauteuil présidentiel. Reclus en Europe depuis fin mai, l'homme d'affaires officialisait trois jours plus tard sur son compte Twitter son accord passé avec Étienne Tshisekedi en vue de la présidentielle, et là encore, de faire front commun face à Kabila.
L'option du dialogue soutenue à Addis-Abeba
Sur l'idée d'un dialogue politique national, en revanche, l'opposition s'affiche plus désunie. Il faut dire que le projet émane à l'origine de Joseph Kabila. Il n'empêche, la communauté internationale, inquiète de constater au fil des semaines qu'aucun calendrier électoral ne se dessine en RD Congo, s'est associée au processus. Aussi, le 4 juillet, jour de l'appel à la mobilisation lancé par l'opposition, des représentants de l'ONU, de l'Union africaine, de l'Union européenne, de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF), de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) ou de la Communauté de développement d'Afrique australe (SADC) se sont réunis à Addis-Abeba. « Dialogue inclusif : le groupe de soutien à la facilitation entre en jeu », titrel'Agence d'information d'Afrique centrale (Adiac). Ces délégués veulent associer toutes les parties à un processus national de consultation, et « entendent mettre les bouchées doubles pour qu'avant la fin du mois de juillet 2016, les discussions puissent effectivement commencer », nous dit l'Adiac.
Des doutes sur la réussite du dialogue national
La tâche semble toutefois donner du fil à retordre au facilitateur Edem Kodjo, ancien Premier ministre du Togo. « Entre les partisans et les anti-dialogue, difficile de concilier les points de vue », souligne tout d'abord l'Adiac. Certaines conditions fixées par le « rassemblement » (libération de prisonniers politiques, association au processus d'instances internationales) peuvent par exemple faire obstacle au consensus. « On en est donc à la case départ au grand dam du facilitateur de l'Union africaine qui serait vraisemblablement obligé de ne composer qu'avec ceux qui sont prêts », conclut l'Adiac. « Que changera la réunion d'Addis-Abeba ? » titre quant à lui, le site burkinabé Aujourd'hui au Faso, qui se montre dubitatif sur la réussite de cette initiative. « La seule chose que Joseph Kabila veut assurément faciliter, c'est son maintien au pouvoir au-delà de décembre 2016 », assure-t-il. Dans cette fin, le président de la RD Congo lorgne sur son voisin Sassou Nguesso qui s'est fait élire « lors d'une présidentielle organisée à la hussarde », renchérit Le Congolais. « Le dialogue politique national initié par Joseph Kabila n'a qu'un but : faire entériner l'idée d'un referendum. D'aucuns allèguent qu'un projet de Constitution serait dans un tiroir à la présidence de la république », ajoute le titre congolais.
La communauté internationale impuissante
Au-delà des manœuvres politiques qui pourraient sous-tendre le projet de consultation nationale, Aujourd'hui au Faso motive ses doutes en invoquant l'échec de la communauté internationale face au précédent burundais. « Le même processus a été adopté pour le cas du Burundi. Les chefs d'État de la région des Grands Lacs étaient montés sur leurs grands chevaux à l'occasion de réunions solennelles et pompeuses au sommet desquelles ils ont porté l'index à Pierre N'Kurunziza. Sans grand effet. Le prof d'EPS qui se sent une âme de pasteur est toujours à la tête du Burundi, régnant avec une férocité dont seuls peuvent témoigner ses opposants », résume le titre burkinabé. Recourant à un registre légaliste, son confrère Le Pays estime de son côté que la communauté internationale se fourvoie en donnant du crédit à ce projet de dialogue politique. « Le dialogue n'est pas une disposition de la Constitution congolaise qui réglemente clairement la succession à la tête de l'État », et en accompagnant cette option, « la communauté internationale encourage le déplacement du débat vers une zone de non-droit ; ce qui constitue une option favorable au plus fort », rappelle le quotidien de Ouagadougou.
Vers un renforcement de la Monusco ?
L'ONU ne semble pas parier non plus sur les chances de réussite du dialogue national. Trois jours après la réunion d'Addis-Abeba, et après avoir réussi à faire voter deux Résolutions en trois mois sur la RDC au Conseil de sécurité de l'ONU, le secrétaire général Ban Ki-moon présentait jeudi 7 juillet, à New York, le rapport trimestriel sur l'évolution de la situation générale du pays. « Une fois de plus, le secrétaire général de l'ONU se montre très inquiet », nous dit La Prospérité. Dans un climat d' « incertitude politique », et d' « augmentation des violations des droits de l'homme », « Ban Ki-moon ne constate aucun progrès dans les préparatifs du dialogue national », poursuit le quotidien congolais. Un redimensionnement de la force onusienne en RD Congo serait à l'étude. Il s'agirait de rendre la Monusco « plus robuste » et plus « pro-active », alors que « le gouvernement rd-congolais se bat, depuis bien longtemps, pour une réduction de moitié des effectifs de la Monusco. Une demande qui n'a pas été prise en compte », ajoute La Prospérité.
Que peut l'opposition ?
C'est donc dans ce climat sulfureux que les deux grandes figures de l'opposition Étienne Tshisekedi et Moïse Katumbi annoncent leur retour à Kinshasa. Leurs appels à la mobilisation seront-ils suivis, et pourront-ils conduire le pays vers la présidentielle, d'ici à la fin de l'année, comme ils l'escomptent et comme le prévoit la Constitution ? Sur ce point, les avis divergent. Selon Bénin Monde Infos, les appels à manifester du « rassemblement » constituent un « énorme piège » pour le président Kabila. « Kinshasa a le choix entre la répression et le laisser-faire », avance le site béninois, pour qui ces deux choix sont « porteurs de risques ». Dans le premier cas (la répression), des responsables politiques congolais pourraient être la cible de sanctions américaines, semblables à celles qui ont été annoncées le 23 juin contre le chef de la police kinoise pour sa responsabilité dans la mort de 40 personnes lors de manifestations en janvier 2015. Dans le deuxième cas, « le risque est une insurrection populaire et à la clé le départ forcé du président congolais ». « Déjà, la Lutte pour le changement (Lucha), organisation de la société civile bien informée des succès de « Y'en a marre » (Sénégal) et du « Balai citoyen » (Burkina Faso) ne ménagera aucun effort pour un renversement en douce du président Kabila. »
« Kabila joue et gagne », titre quant à lui Le Pays. Certes, l'opposition n'a pas d'autres choix que la rue, si elle ne veut « apporter sa caution au processus enclenché par Kabila », pose le quotidien ouagalais. Cependant, la mobilisation risque de n'être « qu'une simple roupie de sansonnet », craint-il, car elle se confronte « à un régime aux crocs déjà bien visibles, qui tient en laisse les démocraties occidentales obnubilées par les immenses richesses du pays ». Et de pointer le rôle ambigu de ces dernières dans l'est du pays, où « elles continuent malgré tout de délier les cordons de la bourse pour mater la rébellion, écartant du même coup l'hypothèse de la fin du régime de Kabila par la prise du pouvoir par un groupe armé. (…) À dire vrai, l'opposition congolaise est tombée dans la nasse de Kabila, qui reste le seul maître à bord du navire. Il a su faire du temps un allié qui le lui rend bien. Place donc à la suite du feuilleton. Après Mobutu, roi du Zaïre, voiciKabila, roi du Congo », conclut Le Pays.
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